TémoignageRIe - Marie Laurent

n° 43

les ateliers du ri3

« Évaluer tue »

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danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

FLORILÈGE DES JOURNÉES

TémoignageRIe

Marie Laurent

Je me suis mise à parler d’une drôle de manière après ces journées du RI3. Des lapsus, j’en faisais déjà… mais ils ont pRIs une drôle de couleur : grain de RIz. Lorsque je suis RIvenue, le lendemain, dans l’institution dans laquelle je travaille, mes collègues ont été surpRIs, et puis amusés, et puis certains ont attrapé mon tic de langage. La maladie était contagieuse. Elle venait se gRIsser partout. L’un a bien essayé de compter, l’autre de me faire RIpéter, un troisième de m’expliquer. RIen à faire. En RIalité, ce qu’ils ne savaient pas tous, c’est qu’ils portaient la langueRIe en germe. Ça cRIssait, ça RIsistait, ça RIait tout seul. Ça se RIveillait ! J’ai témoigné de ce que j’ai entendu. Des gens au travail, qui attrapaient les choses avec déRIcatesse et euphémie, par les bords. La langueRIe vous apprend qu’il y a un trou très profond, dans lequel on peut tomber, mais près duquel on peut vivre si on s’appuie sur les côtés. J’ai vu une gentRIe engagée, qui ne RIculent pas devant l’uRIgence, loin de la politique de gestion des RIsques protocolisée. Le temps pRIsse et les voilà sur la bRIche! Le signifiant mord avec ses effets de signification, ils le font RI-sonner ! L’Autre-qui-n’existe-pas-mais-jouit-quand-même, ils le traitent avec courtoiseRIe, permettant que s’abRIte un rapport au RIel dans l’institution. Ils ont aussi évoqué l’uRIgence quand elle est de votre côté, quand elle vous fait agir ou vous pousse à « passer ». On s’y est mis à plus-RIeurs. Tous ceux qui voulaient travailler séRIeusement, avec RIgueur, tous RIches que nous étions de langueRIe RIvélée. D’ailleurs, ils ont dit qu’ils allaient ouvRIr des ateliers du RI3. HeuRIs’ment, parce que nous, nous sommes trop jeunes malades !

Marie Laurent est médecin responsable d’un service nommé Trait D’Union (CSSR Les Lauriers, à Lormont, en Gironde) qui reçoit des personnes ayant des problèmes d’addiction, surtout d’alcool. Ils viennent là, après un séjour à l’hôpital, pour poursuivre la mise à l’abri du produit et trouver des points d’appui leur permettant de s’inscrire dans un lien social


Cristaux

Viviane Durand

Le feuilleton nous avait alléché et les journées ont tenu leurs promesses. On ne sort pas intact des journées du RI3 ; on se sent allégés et en même temps remplis d’un nouveau savoir produit par le témoignage des pratiques d’une clinique vivante et orientée, cristaux précieux dont un nous a manqué, celui que notre ami Virginio Baïo nous aurait offert avec son style inimitable.

Le traitement de l’urgence ou par l’urgence, selon la proposition de J.-A. Miller, est une réponse en acte, réponse inventive, non standardisée, marquée par le désir d’un partenaire qui instaure une « fraternité discrète », qui présentifie la « bienfaisance neutre de l’Autre » dans la contingence de la rencontre. Cette marque du désir, qui parie sur le sujet, était présente dans toutes les situations exposées. Il y avait urgence de bien dire, de ponctuer, de réveiller de la routine. Pas de recettes, mais un engagement, une mobilisation et une attention à la diversité des modes de jouir que seule la psychanalyse permet de mettre en mouvement. Chaque cas a démontré manifestement que la responsabilité de l’acte, dans sa dimension particularisée, était exactement l’envers de la norme d’une procédure standardisée.

Ces deux journées intenses et légères ont donné la parole à des partenaires pressés de permettre à ces sujets souffrants de poursuivre leur construction. Encore une fois, la joie dans ce qui fait notre travail était au rendez-vous.

Viviane Durand est éducatrice à l’ITEP Bellefonds.


Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt

Stéphane Morin

« Le meilleur moyen d’éviter la chute des cheveux, c’est de faire un pas de côté », s’amusait Groucho Marx. Et ce pas de côté, cette malice de la langue, cette loufoquerie, nous les avons retrouvés à maintes reprises au cours de ces journées du RI3. Nous avons ainsi pu mesurer combien le recours à ce style d’invention décalée, par des praticiens sérieux, rigoureux et prompts à repérer et discuter les effets de leurs interventions, pouvait s’avérer cliniquement opérant dans certaines situations cliniques.

Au concours Lépine des inventions cliniques, j’isole cette pépite : en institution, un jeune, fort énervé, se dresse devant son interlocuteur, lève le majeur et le gratifie ainsi d’un fort joli doigt d’honneur. Très attentif à ce qui lui est ici désigné, le clinicien, calmement, habilement, lève la tête et tourne son regard vers le ciel en direction du point désigné par ce doigt tendu. Ce pas de côté fort agile, cette pirouette magnifique, permet que quelque chose se dégonfle d’une situation sous tension. L’intervention est réussie, l’effet comique sur l’auditoire est garanti dans l’après-coup de sa présentation, mais, et surtout, cette intervention est terriblement efficace dans l’instant où elle est produite. Ce décalage d’une relation en miroir a des effets directs sur le sujet, court-circuitant une jouissance qui se fait envahissante au moment de cette tension agressive.

Le caractère impromptu et spontané est bien sûr consubstantiel de ces pas de côté, de ces inventions. Ils ne sont ni programmables ni standardisables ; ils sont le fruit d’une rencontre toujours contingente entre un clinicien, attentif aux effets de la parole et aux modalités de la jouissance, et un sujet. Ce sont des inventions fugaces et d’autant plus efficaces qu’elles créent un effet de surprise. Et ce n’est pas facile, ni donné à tout le monde sans doute, d’être surprenant. Au RI3, j’ai donc ri, mais d’un rire sérieux, d’un rire qui me faisait me dire au moment même où je riais : « Ils savent y faire un peu tout de même ! » J’ai entendu pendant deux belles journées des inventeurs, et constaté que la trouvaille n’est pas toujours du côté du psychotique mais, à l’occasion, du praticien et notamment dans ces situations qui ont constitué le fil rouge de ces journées, les « cas d’urgence ».

Stéphane Morin est psychologue à Nantes.