Dualité : le corps et son enveloppe - Danièle Rouillon

n° 62

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les ateliers du ri3

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Vos contributions sont attendues : 3500 signes, c’est bien.

danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

Dualité : le corps et son enveloppe

Danièle Rouillon

Quelle image dois-je présenter pour ne pas être angoissante ?

J’ai fait les rangements de printemps. Il y a les vêtements pour la maison, les belles robes pour sortir de la maison, et les vêtements de Nonette. Il y a, en réserve, en attente dans des sacs à la maison, dans le coffre de ma voiture, les dons d’habits pour des jeunes dont je m’occupe à l’unité La Villa. Comment ne pas tenir compte du corps et de son enveloppe dans la psychose quand cela envahît partout, même après le travail ?

Patricia criait à répétition des « é » stridents qui retentissent et font trace dans mon tympan d’une éternelle infection et douleur permanente. L’analyse, la prise en charge dans la vie quotidienne l’ont amenée à un lien social plus civilisé. Elle, qui fuyait en criant, vient saluer chacun en réunion d’un « é » retentissant et d’une main tendue. Quand elle s’approche de moi durant ce tour de table, je marque un temps d’interrogation sans la regarder : « Vous pouvez parler autrement. » Elle s’arrête à cette ponctuation que déploie Jacques-Alain Miller dans ses émissions de France Culture ; elle se penche en avant et articule, syllabe après syllabe : « bon jour dan niè le rou illon » avec un sourire victorieux et ironique. Le travail en analyse dont le docteur Rabanel a témoigné lors de journées du RI3, et avec moi dans la vie quotidienne, consiste à reprendre lalangue de Patricia en tant que des petits bruits de corps : petits soupirs, souffles, petits fous rires, éclats de rire retenus, un langage de sons de corps atténués dans la tonalité, l’amènent à prendre des initiatives diverses. Alors qu’elle était soumise aux paroles des autres. La plus grande liberté c’est son entrée dans le langage. L’étonnant revers, c’est son corps qui est passé en peu d’années de la taille 40 au 50. Une incorporation du langage et/ou l’enveloppe d’un bain de langage. Le shopping est compliqué pour de multiples raisons, alors mes amies me donnent des habits pour elle et d’autres aussi. Elle affectionne ceux qui ont des coquillages, des perles qu’elle secoue et qui font des petits bruits quand elle se déplace. Le travail clinique va au-delà de la pratique de l’écoute et du respect de la parole, il prend en compte le réel du corps, dans ses manifestations symptomatiques et ses évènements de corps.

Mychire, arrivé depuis deux ans, a une grande cicatrice, couture qui traverse son torse. Dans un premier temps, il déchire ses vêtements et ceux des autres, à partir des coutures, en silence, hors du regard ou en indiquant : « Je déchire ? », puis : « Protège moi, je vais déchirer. » Je lui répondais : « C’est solide. » Par ce comportement, il interroge la solidité de la couture sur son corps, il obéit à l’injonction de la signification « déchire » de son prénom et aux paroles de sa mère adoptive : « Tu ne déchires pas. » Nu dans son ancienne institution, il a accepté à Nonette de se couvrir le sexe juste à la limite du gland avec des foulards aux motifs de cachemire (des nœuds). Il a passé une longue période à faire des nouages, des tresses. Puis il a inventé de se couvrir avec une sorte de culotte, faite d’un tissu en polaire qu’il noue. Ce signifiant « peau laire » a contribué à ce qu’il fabrique cette enveloppe. Jean-Pierre Rouillon indiquait que ce sujet ne fait pas la différence entre le corps et son enveloppe. Par temps de neige, il hurle : « J’ai froid. » Pour sortir dehors, la cape faite d’une couverture le propulse sur les toits, tel Superman, dans une position d’objet phallique, toujours plus haut. Cet hiver, je lui prête mon manteau que je dis en « peau » quand il doit se déplacer dehors. Il questionne : « Et si je le déchire ? » Je réponds : « Je vous fais confiance. » Je l’accompagne dans ses déplacements, sans commentaires. Je récupère mon manteau idem. Ouf ! Il va questionner l’unité du corps sur le corps des autres par des nouages-ficelages. Nous devrons maintenir un accompagnement de protection serrée en faisant mine de rien et évacuer radicalement tissus déchirés, ceintures qui évoquent le lien, le nœud. Adieu les projets de lui proposer des tissus et des bandes pour se confectionner des habits à la mode de Clérambault, comme me le suggérait Michel Grollier aux dernières journées du RI3. Il s’adonne alors aux pliages, origamis divers. Il les réalise en un temps record, après m’avoir vu les exécuter dans un long labeur de compréhension. Il débite des quantités de feuilles. Je refais le stock avec des demi-feuilles et je varie avec des couleurs. Ses miniatures d’origamis sont superbes. Il nous fait de plus en plus confiance. Son analyste, J.-P. Rouillon, nous dit qu’il travaille. Par cette offre de paroles, il arrive à dire combien notre image peut l’angoisser. « Danièle Rouillon, rentre ton col, ça m’angoisse, je vais déchirer. » Je le protège. Il questionne sur les noms des matières qui m’enveloppent. Il touche les épaulettes en « satin » de ma redingote, frotte son nez, sa bouche dessus, jubile mais ne déchire pas. Il fait un pli avec mes collants, dit « un néon ». Je garde en réserve des tissus en polaire, des peluches qu’il démembre par sacs entiers, substituant ses « expériences » de solidité de la couture sur les peluches plutôt que sur le corps des autres.

« Comment mon image peut elle ne pas être angoissante ? » Jacques Lacan parle de « travailler avec l’angoisse sous le bras ». Il dit, page 13 du Séminaire L’angoisse : « l’angoisse ne semble pas être ce qui vous étouffe, j’entends comme psychanalystes. Et pourtant ce n’est pas trop dire que ça devrait. C’est en effet dans la logique des choses, c’est-à-dire de la relation que vous avez avec votre patient. Sentir ce que le sujet peut supporter d’angoisse vous met à tout instant à l’épreuve. »

Techniquement depuis 22 ans, je devrais maitriser un peu mieux cette position d’être un semblant d’objet dans cette pratique de psychanalyse appliquée en institution, pendant 7 heures de suite, avec 12 sujets psychotiques singuliers.

Comment m’habiller pour travailler à Nonette ? Je recouvre entièrement mon corps, été comme hiver. Seules mes mains, qui présentent 8 fentes entre les doigts, me trahissent. Je les ferme pour unifier mon corps. Je porte des gants. Pas de vêtements avec des fentes, pas de frou-frous qui dépassent, des tissus solides, mais doux, dans des couleurs variables selon les sujets. Les chaussures : couvrantes, capables de marcher en silence, de faire des bruits de pas et des sons de flamenco. Le regard : je le cache entre mes mains, je baisse la tête. Parfois, il me faut le voiler avec un foulard, quitter les lunettes et le cacher avec ses mèches de cheveux. Leurs déambulations et la disparition des fauteuils et chaises dans les nouveaux locaux ont enseigné qu’ils ne supportent pas trop notre image statique. Je suis alors en mouvement, je disparais en disant : « Je suis là », je réapparais en avertissant par une mélodie, un son, un sifflement qui me sont particuliers pour ne pas faire intrusion. La disparition des spots d'éclairage, le fait qu’ils éteignent les lampes m’ont appris la difficulté de ces sujets avec la lumière. Pourtant les locaux ont été construits avec un minimum de luminosité.

Recouverte, dans la pénombre, dans le flou, sans lunettes, indifférente à mon image narcissique, je manie et retiens mes objets pulsionnels : regard, voix, etc.

Je ressors, vidée et pleine de rétention, comme en exil dans le monde social. À me protéger le corps, à me présenter de façon à ne pas être angoissante, je dois me libérer de ce forçage clinique, de cette protection continue d’enveloppe du corps, quitter le masque, les vêtements de Nonette. Je dois retrouver mon Désir, ses objets, un peu de narcissisme, une position féminine de névrosée. C’est comme un désert de désir que j’éprouve en quittant Nonette. Alors je cherche comment quitter la position d’objet parlêtre Réel dans laquelle je me sculpte dans la rencontre durant des heures avec des sujets psychotiques. Je cherche un sas de décontamination : dormir des heures infinies, parler du travail ne permet pas forcément d’en sortir, écrire et élaborer nécessite que le lecteur comprenne. Reste la belle robe de l’habit qui ne fait pas le moine ? Se dépose la richesse d’une expérience toujours nouvelle pour aborder le parlêtre.

« Le Désir trouve son sens dans le Désir de l’Autre. » « Le Désir ne fait qu’assujettir » écrit J. Lacan. C’est-à-dire que le désir de l’Autre permet au sujet d’être un sujet, un sujet désirant vivre, parler, écrire et avoir une image qui lui convienne à peu près.

Lacan écrit de ne pas reculer face à la psychose. Il s’agit d’inventer un désir nouveau pour continuer à assurer l’extension prochaine de cette institution, soutenir ses responsables, former de nouvelles personnes à l’accueil et aux traitements de la psychose en référence à l’enseignement de J. Lacan. Ne pas céder et sortir de la solitude où je m’enferme pour lutter contre l’angoisse, les effets corporels et psychiques que ces sujets gravent en moi après avoir côtoyer leur Réel dans la métonymie du temps..

Et vous, quel est votre sas de décontamination ?

Les Journées de l’ECF des 9 et 10 octobre - ”Je viens pour ça”


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Chers lecteurs,

C’est avec joie que nous vous adressons ce message de Judith Miller relatif aux prochaines Journées de l’ECF,

et espérons qu’il suscite parmi vous un accueil des plus favorables.

Suite au message, vous trouverez en pièce jointe l’argument des 40es Journées de l’ECF.

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Les Journées de l’ECF des 9 et 10 octobre
”Je viens pour ça”


L’ECF tient ses Journées d’automne à ce second week-end d’octobre 2010 et propose de confier aux groupes des réseaux du Champ freudien les simultanées qu’ils seront susceptibles d’assurer (4 à 6 sont envisageables vus les délais courts).


Les responsables de ces réseaux ont accueilli avec joie cette proposition et, dans une réunion informelle tenue le 10 juillet ont été d’accord pour que ces simultanées abordent des thèmes non seulement articulés à celui des Journées de l’ECF, mais aussi transversaux aux réseaux.


Nous souhaitons par là favoriser l’énonciation et parer aux phénomènes d’identification groupale, sans pour autant gommer la spécificité du travail de chaque réseau.

Nous avons déterminé les thèmes suivants, qui, selon les arguments proposés, seront regroupés, dédoublés ou précisés :


1 L’écart entre demande et désir.


2 “Je vous l’amène pour ça”.


3 De la pertinence des réunions cliniques.


4 Accueillir singulièrement la détresse.


5 Inventer le lien social qui arrime quand ce lien est délité.


6 Faire émerger un ”je veux”.


7 Traiter le désir , non la demande.

8 Donner le goût du un par un versus les idéaux institutionnels.


9 Spécificité et illustration de la “pratique à plusieurs” (la formation requise dans sa mise en acte).


10 Travail préliminaire à l’accueil en institution d’orientation lacanienne.


Les arguments sont attendus pour la fin de ce mois ou le tout début d’août, notamment de qui n’est jamais intervenu dans une Journée de l’ECF.

Des membres de l’ECF tiendront le fil rouge de ces simultanées.


Ces arguments (1500 signes) sont à adresser à Jean-Daniel Matet (matet@wanadoo.fr), Jean-Robert Rabanel (jrabanel@wanadoo.fr), Pierre Malengreau (pmalg@skynet.be), Eric Zuliani (eric.zuliani@wanadoo.fr) et Judith Miller (judithm@champfreudien.org).


Cordialement et que la hâte vous soit propice.
Judith Miller