Comment se laisse-t-on enseigner par les sujets autistes

Comment se laisse-t-on enseigner par les sujets autistes

Suivant l’idée que l’autisme est un handicap, certains mettent l’accent sur la mise en œuvre de méthodes éducatives, adaptées, certes, aux enfants qui en seraient atteints, mais allant dans le sens d’une scolarité comme toute autre.

Qui s’oriente à partir de la psychanalyse, celle de Freud et de Lacan, privilégie l’attention qu’il porte à la singularité de chacun, dont il y a tout à apprendre. Si tant est que le psychanalyste ait un savoir, c’est un savoir qu’il construit au cas par cas, à commencer par le sien. C’est un savoir toujours en chantier, un work in progress. Il apprend de chaque sujet, y compris des sujets autistes.

Les sujets autistes mobilisent en général beaucoup de monde autour d’eux, le travail ne se fait pas toujours, ou pas seulement dans le huis clos du cabinet de l’analyste ou du thérapeute, il se fait aussi avec l’éducateur, l’infirmier, l’orthophoniste, etc.

Lors de cette journée, des praticiens de différentes formations, travaillant dans des institutions, pour enfants ou pour adultes, viendront dire ce qu’il en est de leur rencontre avec des sujets autistes. Ils nous parleront des inventions, des trouvailles dont ils peuvent faire preuve à condition qu’on sache les accueillir, et en « accuser réception ». Accueillir ces inventions implique que les équipes soignantes, éducatives, se laissent déloger d’une certaine conformité institutionnelle. Nous entendrons le témoignage de certains qui ont été ainsi conduits à des solutions innovantes pour répondre de façon adaptée aux sujets autistes qu’ils accompagnent.

Les sujets autistes sont au travail et ils nous mettent au travail. Ils nous obligent à nous interroger sur des questions essentielles. Qu’est-ce que le langage ? Et le rapport à l’Autre ? Qu’est-ce qu’avoir un corps ? Et ce faisant nous en apprenons un peu plus sur notre humanité.

Pour plus d’informations, programme, affiche, le Blog de l’ACF IdF :

http://acfidf.wordpress.com


Faire semblant ? Une pratique en institution

Nous avons le plaisir de vous annoncer la prochaine Journée organisée par l’ITEP de Bellefonds qui aura lieu le samedi 25 septembre.

Suite à l’argument, vous trouverez l’affiche, le programme et,

en pièce jointe, le bulletin d’inscription.

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Faire semblant ?

Une pratique en institution

Les enfants posent souvent cette question : « C’est pour de vrai ou c’est pour de faux ? » Quand ils la posent, ils accèdent au « semblant », et c’est un pas décisif. Et l’institution n’est pas en reste pour susciter, produire des situations pour « faire semblant ». Jeux, déguisements, masques, saynètes mises en scènes visent à décoller l’enfant du réel dans lequel il est pris. Faire semblant, c’est quitter la réalité pour le jeu, pour la fiction. Quand le corps n’est plus atteint réellement, quand cela devient un jeu, faire semblant d’être mort, faire semblant de se blesser, faire semblant d’être la maman ou le papa, quel apaisement ! Mais ce n’est jamais gagné, c’est un travail qui met chaque adulte aux prises avec son inventivité, son rapport au comique, au mot d’esprit et ses inventions peuvent être multiples dans cet espace restreint qui le lie aux enfants.

Si le symbolique est forclos et menace toujours de faire irruption dans le réel, quelle est la place du semblant ? Avec Lacan, le semblant relève aussi bien de l’imaginaire que du symbolique. Imaginaire, il consonne avec le semblable, symbolique, c’est par exemple, avec le jeu de cache cache, le premier jeu d’apparition et de disparition. Et c’est aussi le signifiant même que le semblant interroge. Jacques-Alain Miller en propose la définition suivante : « Le semblant désigne un signifiant qui n’est pas comme les autres. C’est celui qui peut apparaître comme fondateur… c’est en quoi le semblant est le point de capiton » (De la nature des semblants, 26 février 1992, cours inédit). Voici une définition qui ne manquera pas de nous orienter lors de cette journée destinée à qui s’occupe d’enfants pour lesquels s’attacher à voiler le trop de réel qui fait leur quotidien et à rendre leur vie supportable est un enjeu à chaque fois recommencé.

Le matin, après une introduction au thème par Michel Neycensas, deux cas seront discutés. Le premier sera présenté par Thomas Offe et Paul Gil qui interviennent à Bellefonds. Ils parleront sous le titre « Du bon usage du semblant ? » Le second cas sera présenté par Aurélie Marsaleix, infirmière à l’hôpital de Jour de la Demi-Lune, sous le titre : « Le semblant à la rescousse. » Cette séquence sera présidée et animée par Danièle Lacadée-Labro.

L’après-midi une première séquence permettra de discuter deux cas. Le premier, sous le titre « Nathan le magicien », sera présenté par Virginie Toulza, Viviane Durand et Marie-Agnès Macaire. C’est un cas du Jardin d’enfants de Bellefonds. Le second sera présenté par Philippe Larrouy, psychomotricien à l’hôpital de jour de Podensac, sous le titre « Pour de faux, pour une vraie place ».

Lors de la seconde séquence nous aurons le plaisir d'accueillir Hervé Damase qui intervient au CTR de Nonette. Le titre de son exposé: « Ironie et semblant ».

Ces deux séquences seront présidées et animées par Laure Naveau qui donnera les conclusions de la journée.

Se servir de l’institution

Se servir de l’institution

Alors que la psychiatrie de l’enfant connaît un remaniement qui passe par une reconfiguration de la séméiologie réduite à un catalogue de troubles avec pour conséquence le handicap qui en résulte, donner toute sa noblesse et sa place à l’institution revient à ne pas cesser de mettre au poste de commande une clinique qui accueille ce que l’enfant a de plus particulier et qui ne se range dans aucune classification.

L’institution peut être l’instrument dont les professionnels vont se servir pour offrir abri et accueil à ce qui se présente pour la plupart des enfants que nous recevons, comme radicalement étranger, voire insupportable, sous les modalités du rejet de l’autre ou de sa destruction.

Nous partirons de l’expérience de l’hôpital de jour « l’Ile verte ». Si groupes et ateliers scandent la vie de l’institution, nous ferons valoir comment cet appareillage institutionnel trouve son fondement dans une approche clinique. Pas de programme, pas de protocole, pas d’institution pré-établie, chacun se dispose pour être « à l’heure du sujet ». Dès lors, l’enfant peut produire ses points d’ancrage, ses constructions avec le trait de l’invention qui lui est propre.

Lors de cette après-midi, à plusieurs, psychiatre, psychologue, infirmiers, nous témoignerons de la façon dont un enfant se sert de l’institution pour trouver un rapport plus pacifié à l’autre. Dans un contexte où la psychanalyse est toujours accusée d’influencer l’offre de soins et souvent soupçonnée de culpabiliser les parents, nous ferons valoir comment l’institution permet d’établir des espaces de conversation avec les parents.

Nous aurons la chance d’entendre Dominique Holvoet, directeur thérapeutique au Courtil, institution fondatrice du RI3, réseau qui favorise les liens de travail et d’échanges entre les professionnels orientés par la psychanalyse d’orientation lacanienne. Les travaux du RI3, dont nous avons eu un écho à Bordeaux lors des journées de Janvier 2010 sur le thème « Cas d’urgence », donnent des points d’appui précis pour la prise en charge des enfants psychotiques et autistes en institution. Cette après-midi sera l’occasion de poursuivre les échanges et d’avancer dans les questions relatives à la pratique en institution. La création d’un Atelier clinique du RI3 dans notre région sera la suite logique de nos travaux.

Docteur Maryse ROY

Microsoft PowerPoint - AFFICHE[1][1]


JOURNÉE D’ÉTUDE de L’ADIR

JOURNÉE D’ÉTUDE de L’ADIR

Association pour le Développement des Institutions de Recours

Samedi 16 octobre 2010 (9h30 - 18h)

A l’Institut de Formation au Travail Social,

201, chemin de Faveyrolles, Quartier Darbousson,

83190 Ollioules (Direction Chateauvallon)

Clinique

de l’urgence ordinaire

avec

Jean-Robert RABANEL

psychanalyste

Responsable thérapeutique du Centre Thérapeutique et de Recherche Nonette.

Urgnece Picasso II

Il s’agit d’étudier, dans une clinique au quotidien, en institution, les situations d’urgence – ou de crise – dans lesquelles notre savoir-faire est particulièrement mis à l’épreuve. Nous distinguerons ainsi, lorsque le sujet s’affronte à l’angoisse, les réactions dans l’urgence et les réactions àl’urgence. Les enjeux cliniques y sont cruciaux dans la mesure où un réel est en jeu, face auquel l’enfant psychotique est souvent démuni et l’invention de l’intervenant, dès lors, nécessaire. Nous parierons sur le témoignage vivant qui nous semble être le meilleur abord pour mettre au travail ces questions. Des situations cliniques et des cas développés seront présentés, éclairés par l’orientation psychanalytique.

A cette occasion, seront édités les actes de la Journée 2008 « Sortir de l’autisme ».

Participation aux frais : 20 E. Etudiant :10 E.

Chèque à : ADIR - Journée, 50, chemin E. Massiani, 83190 Ollioules.

Renseignements : 06 85 309 309 - Inscriptions : 04 94 93 69 00

Comment apprennent les enfants troublants et troublés ?

C’est avec plaisir que nous vous informons de la tenue prochaine d’une Journée d’étude du Laboratoire du Cien de Saint-Malo dont vous trouverez ci-dessous l’argument, ainsi que le programme et l’affiche en pièces jointes.

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Le 16 octobre 2010, de 8h30 à 17h30

Journée d’étude du Laboratoire du Cien de Saint-Malo

Comment apprennent

les enfants troublants et troublés ?

Le matin, 4 vignettes pratiques présenteront l’accueil d’enfants « dits-autistes » et de leurs parents, dans des lieux différents : camps, école… Les professionnels parleront à partir de leurs disciplines : assistante de vie scolaire, professeur des écoles, professeur de collège, psychomotricienne. Ils témoigneront de l’angoisse du diagnostic quand ce dit, « autiste », enferme l’entourage et l’enfant dans le désarroi. Il y a pourtant, déjà là, un savoir à l’œuvre, parfois figé, suspendu aux dits prétendument scientifiques. L’Autre peut s’avérer trop présent. Parier sur une rencontre et donner la place à la chance inventive peut ouvrir une voie « à prendre », celle à partir de laquelle l’enfant donnera une cohérence au monde. Il pourra, dès lors, l’ordonner, le classifier et trouver son mode pour s’y inscrire. Acquérir un savoir, c’est pouvoir en effet en user, s’en servir et en jouer…

L’ouverture à l’Autre est allégée quand l’angoisse est tempérée, et le savoir peut alors devenir un « jeu de vie », selon l’expression de Freud à propos de l’école. Se faire partenaire de ce jeu singulier tisse un lien et favorise l’élaboration de ce savoir. Elle protège le sujet de ce qui le menace et lui permet une sortie de l’isolement. Un dialogue avec l’enfant ne peut s’établir qu’avec qui consent savoir ne pas savoir. Par ce biais, une prise dans l’Autre.

Le laboratoire « En 3 actes » du CIEN de Saint-Malo a invité Claudine Valette-Damase, membre de l’ECF, Vice-présidente du CIEN, afin que, par sa présence « extime », le travail de chacun des membres du lab. puisse se décompléter, rebondir, poursuivre sa recherche…

L’après-midi, Isabelle Guinic, présidente de l’association de parents d’enfants autistes Bol d’Air-Trait d’Union, conversera avec des membres du lab., à partir de la création d’un dispositif d’accueil temporaire qui a donné un prix tout particulier au répit des parents et celui pressenti nécessaire pour leurs enfants. Le répit est à prendre au sérieux puisque s’en dégage une rigueur pour des franchissements surprenants : dormir ailleurs, aller à la piscine…

Puis, Jean-Claude Maleval, membre et de l’ECF et membre du lab., interviendra sur pourquoi « Apprendre ne suffit pas ».

Le laboratoire de St Malo a la joie d’organiser cette journée d’étude issue d’une dynamique aux conséquences citoyennes, car elle engage la responsabilité de celui qui accueille l’enfant.

renseignements

Isabelle Fauvel,

5 place Toullier,

35120, Dol de Bretagne

isabelle.gfauvel@wanadoo.fr

inscription

tarif normal : 12 €

tarif réduit : 7 € (demandeurs d’emploi et étudiants)

réservation possible par téléphone au 06 61 82 95 04

telephone

Isabelle Fauvel : 06 85 75 41 02

Michel Forget : 06 45 20 61 02

Dualité : le corps et son enveloppe - Danièle Rouillon

n° 62

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les ateliers du ri3

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Vos contributions sont attendues : 3500 signes, c’est bien.

danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

Dualité : le corps et son enveloppe

Danièle Rouillon

Quelle image dois-je présenter pour ne pas être angoissante ?

J’ai fait les rangements de printemps. Il y a les vêtements pour la maison, les belles robes pour sortir de la maison, et les vêtements de Nonette. Il y a, en réserve, en attente dans des sacs à la maison, dans le coffre de ma voiture, les dons d’habits pour des jeunes dont je m’occupe à l’unité La Villa. Comment ne pas tenir compte du corps et de son enveloppe dans la psychose quand cela envahît partout, même après le travail ?

Patricia criait à répétition des « é » stridents qui retentissent et font trace dans mon tympan d’une éternelle infection et douleur permanente. L’analyse, la prise en charge dans la vie quotidienne l’ont amenée à un lien social plus civilisé. Elle, qui fuyait en criant, vient saluer chacun en réunion d’un « é » retentissant et d’une main tendue. Quand elle s’approche de moi durant ce tour de table, je marque un temps d’interrogation sans la regarder : « Vous pouvez parler autrement. » Elle s’arrête à cette ponctuation que déploie Jacques-Alain Miller dans ses émissions de France Culture ; elle se penche en avant et articule, syllabe après syllabe : « bon jour dan niè le rou illon » avec un sourire victorieux et ironique. Le travail en analyse dont le docteur Rabanel a témoigné lors de journées du RI3, et avec moi dans la vie quotidienne, consiste à reprendre lalangue de Patricia en tant que des petits bruits de corps : petits soupirs, souffles, petits fous rires, éclats de rire retenus, un langage de sons de corps atténués dans la tonalité, l’amènent à prendre des initiatives diverses. Alors qu’elle était soumise aux paroles des autres. La plus grande liberté c’est son entrée dans le langage. L’étonnant revers, c’est son corps qui est passé en peu d’années de la taille 40 au 50. Une incorporation du langage et/ou l’enveloppe d’un bain de langage. Le shopping est compliqué pour de multiples raisons, alors mes amies me donnent des habits pour elle et d’autres aussi. Elle affectionne ceux qui ont des coquillages, des perles qu’elle secoue et qui font des petits bruits quand elle se déplace. Le travail clinique va au-delà de la pratique de l’écoute et du respect de la parole, il prend en compte le réel du corps, dans ses manifestations symptomatiques et ses évènements de corps.

Mychire, arrivé depuis deux ans, a une grande cicatrice, couture qui traverse son torse. Dans un premier temps, il déchire ses vêtements et ceux des autres, à partir des coutures, en silence, hors du regard ou en indiquant : « Je déchire ? », puis : « Protège moi, je vais déchirer. » Je lui répondais : « C’est solide. » Par ce comportement, il interroge la solidité de la couture sur son corps, il obéit à l’injonction de la signification « déchire » de son prénom et aux paroles de sa mère adoptive : « Tu ne déchires pas. » Nu dans son ancienne institution, il a accepté à Nonette de se couvrir le sexe juste à la limite du gland avec des foulards aux motifs de cachemire (des nœuds). Il a passé une longue période à faire des nouages, des tresses. Puis il a inventé de se couvrir avec une sorte de culotte, faite d’un tissu en polaire qu’il noue. Ce signifiant « peau laire » a contribué à ce qu’il fabrique cette enveloppe. Jean-Pierre Rouillon indiquait que ce sujet ne fait pas la différence entre le corps et son enveloppe. Par temps de neige, il hurle : « J’ai froid. » Pour sortir dehors, la cape faite d’une couverture le propulse sur les toits, tel Superman, dans une position d’objet phallique, toujours plus haut. Cet hiver, je lui prête mon manteau que je dis en « peau » quand il doit se déplacer dehors. Il questionne : « Et si je le déchire ? » Je réponds : « Je vous fais confiance. » Je l’accompagne dans ses déplacements, sans commentaires. Je récupère mon manteau idem. Ouf ! Il va questionner l’unité du corps sur le corps des autres par des nouages-ficelages. Nous devrons maintenir un accompagnement de protection serrée en faisant mine de rien et évacuer radicalement tissus déchirés, ceintures qui évoquent le lien, le nœud. Adieu les projets de lui proposer des tissus et des bandes pour se confectionner des habits à la mode de Clérambault, comme me le suggérait Michel Grollier aux dernières journées du RI3. Il s’adonne alors aux pliages, origamis divers. Il les réalise en un temps record, après m’avoir vu les exécuter dans un long labeur de compréhension. Il débite des quantités de feuilles. Je refais le stock avec des demi-feuilles et je varie avec des couleurs. Ses miniatures d’origamis sont superbes. Il nous fait de plus en plus confiance. Son analyste, J.-P. Rouillon, nous dit qu’il travaille. Par cette offre de paroles, il arrive à dire combien notre image peut l’angoisser. « Danièle Rouillon, rentre ton col, ça m’angoisse, je vais déchirer. » Je le protège. Il questionne sur les noms des matières qui m’enveloppent. Il touche les épaulettes en « satin » de ma redingote, frotte son nez, sa bouche dessus, jubile mais ne déchire pas. Il fait un pli avec mes collants, dit « un néon ». Je garde en réserve des tissus en polaire, des peluches qu’il démembre par sacs entiers, substituant ses « expériences » de solidité de la couture sur les peluches plutôt que sur le corps des autres.

« Comment mon image peut elle ne pas être angoissante ? » Jacques Lacan parle de « travailler avec l’angoisse sous le bras ». Il dit, page 13 du Séminaire L’angoisse : « l’angoisse ne semble pas être ce qui vous étouffe, j’entends comme psychanalystes. Et pourtant ce n’est pas trop dire que ça devrait. C’est en effet dans la logique des choses, c’est-à-dire de la relation que vous avez avec votre patient. Sentir ce que le sujet peut supporter d’angoisse vous met à tout instant à l’épreuve. »

Techniquement depuis 22 ans, je devrais maitriser un peu mieux cette position d’être un semblant d’objet dans cette pratique de psychanalyse appliquée en institution, pendant 7 heures de suite, avec 12 sujets psychotiques singuliers.

Comment m’habiller pour travailler à Nonette ? Je recouvre entièrement mon corps, été comme hiver. Seules mes mains, qui présentent 8 fentes entre les doigts, me trahissent. Je les ferme pour unifier mon corps. Je porte des gants. Pas de vêtements avec des fentes, pas de frou-frous qui dépassent, des tissus solides, mais doux, dans des couleurs variables selon les sujets. Les chaussures : couvrantes, capables de marcher en silence, de faire des bruits de pas et des sons de flamenco. Le regard : je le cache entre mes mains, je baisse la tête. Parfois, il me faut le voiler avec un foulard, quitter les lunettes et le cacher avec ses mèches de cheveux. Leurs déambulations et la disparition des fauteuils et chaises dans les nouveaux locaux ont enseigné qu’ils ne supportent pas trop notre image statique. Je suis alors en mouvement, je disparais en disant : « Je suis là », je réapparais en avertissant par une mélodie, un son, un sifflement qui me sont particuliers pour ne pas faire intrusion. La disparition des spots d'éclairage, le fait qu’ils éteignent les lampes m’ont appris la difficulté de ces sujets avec la lumière. Pourtant les locaux ont été construits avec un minimum de luminosité.

Recouverte, dans la pénombre, dans le flou, sans lunettes, indifférente à mon image narcissique, je manie et retiens mes objets pulsionnels : regard, voix, etc.

Je ressors, vidée et pleine de rétention, comme en exil dans le monde social. À me protéger le corps, à me présenter de façon à ne pas être angoissante, je dois me libérer de ce forçage clinique, de cette protection continue d’enveloppe du corps, quitter le masque, les vêtements de Nonette. Je dois retrouver mon Désir, ses objets, un peu de narcissisme, une position féminine de névrosée. C’est comme un désert de désir que j’éprouve en quittant Nonette. Alors je cherche comment quitter la position d’objet parlêtre Réel dans laquelle je me sculpte dans la rencontre durant des heures avec des sujets psychotiques. Je cherche un sas de décontamination : dormir des heures infinies, parler du travail ne permet pas forcément d’en sortir, écrire et élaborer nécessite que le lecteur comprenne. Reste la belle robe de l’habit qui ne fait pas le moine ? Se dépose la richesse d’une expérience toujours nouvelle pour aborder le parlêtre.

« Le Désir trouve son sens dans le Désir de l’Autre. » « Le Désir ne fait qu’assujettir » écrit J. Lacan. C’est-à-dire que le désir de l’Autre permet au sujet d’être un sujet, un sujet désirant vivre, parler, écrire et avoir une image qui lui convienne à peu près.

Lacan écrit de ne pas reculer face à la psychose. Il s’agit d’inventer un désir nouveau pour continuer à assurer l’extension prochaine de cette institution, soutenir ses responsables, former de nouvelles personnes à l’accueil et aux traitements de la psychose en référence à l’enseignement de J. Lacan. Ne pas céder et sortir de la solitude où je m’enferme pour lutter contre l’angoisse, les effets corporels et psychiques que ces sujets gravent en moi après avoir côtoyer leur Réel dans la métonymie du temps..

Et vous, quel est votre sas de décontamination ?

Les Journées de l’ECF des 9 et 10 octobre - ”Je viens pour ça”


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Chers lecteurs,

C’est avec joie que nous vous adressons ce message de Judith Miller relatif aux prochaines Journées de l’ECF,

et espérons qu’il suscite parmi vous un accueil des plus favorables.

Suite au message, vous trouverez en pièce jointe l’argument des 40es Journées de l’ECF.

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Les Journées de l’ECF des 9 et 10 octobre
”Je viens pour ça”


L’ECF tient ses Journées d’automne à ce second week-end d’octobre 2010 et propose de confier aux groupes des réseaux du Champ freudien les simultanées qu’ils seront susceptibles d’assurer (4 à 6 sont envisageables vus les délais courts).


Les responsables de ces réseaux ont accueilli avec joie cette proposition et, dans une réunion informelle tenue le 10 juillet ont été d’accord pour que ces simultanées abordent des thèmes non seulement articulés à celui des Journées de l’ECF, mais aussi transversaux aux réseaux.


Nous souhaitons par là favoriser l’énonciation et parer aux phénomènes d’identification groupale, sans pour autant gommer la spécificité du travail de chaque réseau.

Nous avons déterminé les thèmes suivants, qui, selon les arguments proposés, seront regroupés, dédoublés ou précisés :


1 L’écart entre demande et désir.


2 “Je vous l’amène pour ça”.


3 De la pertinence des réunions cliniques.


4 Accueillir singulièrement la détresse.


5 Inventer le lien social qui arrime quand ce lien est délité.


6 Faire émerger un ”je veux”.


7 Traiter le désir , non la demande.

8 Donner le goût du un par un versus les idéaux institutionnels.


9 Spécificité et illustration de la “pratique à plusieurs” (la formation requise dans sa mise en acte).


10 Travail préliminaire à l’accueil en institution d’orientation lacanienne.


Les arguments sont attendus pour la fin de ce mois ou le tout début d’août, notamment de qui n’est jamais intervenu dans une Journée de l’ECF.

Des membres de l’ECF tiendront le fil rouge de ces simultanées.


Ces arguments (1500 signes) sont à adresser à Jean-Daniel Matet (matet@wanadoo.fr), Jean-Robert Rabanel (jrabanel@wanadoo.fr), Pierre Malengreau (pmalg@skynet.be), Eric Zuliani (eric.zuliani@wanadoo.fr) et Judith Miller (judithm@champfreudien.org).


Cordialement et que la hâte vous soit propice.
Judith Miller

Prendre en compte l’impossible - Sylvie Poinas

n°60

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les ateliers du ri3

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Vos contributions sont attendues : 3500 signes, c’est bien.

danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

Prendre en compte l’impossible

Sylvie Poinas

En mai 2010, pour une seconde année, a eu lieu à l’Institut Universitaire de Formation des Maitres de Clermont-Ferrand un stage dans le cadre de la formation continue à l’adresse du personnel de l’éducation nationale. Intitulé « La scolarisation des enfants et adolescents porteurs de troubles autistiques », il réunissait des enseignants en Réseau d’Aides Spécialisées pour élèves en difficulté, des Conseillers d’orientation psychologues, des enseignants en classes d’inclusion scolaire, des enseignant référents. Ce stage qui se tenait durant toute une semaine était organisé dans un souci d’ouverture vers plusieurs discours, chaque professionnel parlant à partir de sa pratique et de ce qui la fonde.

Parmi les invités, sont intervenus successivement (sur deux jours) trois collègues du ctr de Nonette : Jean-Robert Rabanel, responsable thérapeutique, Jean-Pierre Rouillon, directeur, et Marie-Ange Ducloix, enseignante spécialisée. Dans un style qui lui est propre, chacun a pu faire valoir l’expérience qui est la sienne auprès des sujets psychotiques qui a priori objectent à tout projet éducatif. L’assistance a été des plus attentive pour accueillir les perles issues de la pratique. Souvent démunis face à la présence d’un sujet psychotique, chaque professionnel a été sensible à une approche au cas par cas, faisant valoir la dimension inventive de chaque sujet.

Certains points abordés lors de ces journées ont spécialement suscité l’intérêt, notamment lorsque le J.-R. Rabanel a souligné l’importance, pour chacun, de pouvoir remettre en question l’idéal éducatif lorsque l’on intervient auprès de sujets autistes ou psychotiques ; ce qui est également le cas pour les parents. Ce passage de l’impuissance à l’impossible est certes parfois douloureux, surtout quand on est formé pour transmettre un savoir établi, mais il s’avère aussi très productif quand il concerne des sujets qui ont refusés d’entrer dans la norme commune. Dès lors, le professionnel s’ouvre de nouvelles perspectives en étant sensible aux trouvailles de chacun.

Vouloir éduquer, même si c’est impossible comme nous l’apprend Sigmund Freud, cela n’empêche pas de considérer que nous avons affaire à des sujets pris dans le langage, et auxquels nous nous devons de nous adresser. L’éducation dépend aussi de l’idée que l’on se fait de l’homme !

Au CTR de Nonette, une attention particulière est portée à la façon dont chacun s’inscrit dans une temporalité qui lui est propre, chacun ayant sa façon de faire avec le savoir de l’école ; pas de pour tous, mais une déclinaison qui va jusqu’à prendre en compte le passage pour franchir le pas de la porte de la classe. Ceci apparaît comme une réelle difficulté à l’école du quartier. En présence d’un sujet autiste, tout devient plutôt énigmatique ; ce que l’on fait avec l’un, on ne peut le faire avec l’autre.

Un des intervenants, professeur d’éducation physique, a témoigné de sa pratique et surtout de sa recherche auprès de jeunes qui le mettent au travail dans le cadre d’une Unité Pédagogique d’Intégration (upi). Il a ainsi pu adresser quelques questions essentielles : Peut-on vraiment parler de handicap quand il s’agit de différence ? Comment leur faire aborder la culture de l’EPS en tant que professeur attentif à l’altérité des positions ?

Ce n’est rien de moins qu’à un changement de perspective que nous sommes ici conviés, l’enseignant s’engageant dans une recherche pour garder sa spécificité professionnelle tout en construisant une approche avec chacun de ses élèves.

Superviser le placement familial ? - Jean-François Lebrun

n° 59

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les ateliers du ri3

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Vos contributions sont attendues : 3500 signes, c’est bien.

danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

Superviser le placement familial ?

Jean-François Lebrun

En France, nombre d’enfants relevant de l’ase sont placés en famille d’accueil. Une direction départementale de l’Enfance et de la Famille a choisi de faire appel à des cliniciens orientés par la psychanalyse pour superviser les animatrices de groupes de parole à l’intention des assistantes familiales. Ces animatrices sont pour la plupart également des assistantes familiales ou des éducatrices responsables du réseau, ayant une assez longue pratique ; elles sont dénommées assistantes familiales ressource. Ces groupes de parole offrent la possibilité de réfléchir et d’échanger sur l’accueil des enfants. Il est demandé au superviseur de « favoriser la prise de recul », « d’optimiser leur technique d’animation ».

Mères de substitution

Au fil des réunions, les animatrices rapportent, par bribes, les observations qu’elles ont recueillies. Ce sont des fragments épars, déversés pêle-mêle, et qu’il s’agit de structurer à partir d’une orientation clinique. La demande à laquelle ont affaire ces dames d’accueil, salariées, formées, consiste à se substituer au milieu familial défaillant. Elle doivent faire preuve d’une disponibilité constante. En cas de problème, elles disposent d’une permanence téléphonique. Pour souffler un peu, elles peuvent faire appel à un relai le week-end.

Saluons leur dévouement à prodiguer des soins particularisés à chaque enfant qui leur est confié, parfois nouveau-né. Avec cette volonté d’incarner une mère de substitution, c’est l’idéal de la « bonne mère » qui est mis en avant. Mais il peut être mis fin de façon imprévisible à ce grand investissement envers un enfant : main levée, réorientation, adoption tardive. Certaines, manifestement, manquent de distance face à l’accueil de l’enfant, et rien ne semble prévu pour venir tempérer leurs transports.

Le travail de supervision permet de mettre en évidence que ce qui est en jeu, c’est le statut de l’enfant dans le malaise contemporain, en tant que « condensateur pour la jouissance »1. Comment approcher ce que représente un tel parcours pour ces enfants ? Quelle est leur place dans l’Autre ? D’avoir été retiré de leur foyer parental, où régnait souvent une jouissance sans loi, les voilà ballottés d’institution en institution, avant de se retrouver en maison d’enfance, adoptés, ou bien de retour chez leurs parents ?

L’idéal de l’amour maternel

Les premiers temps de l’accueil sont parfois qualifiés « d’idylle », de « fiançailles » ou de « lune de miel ». Un « coup de foudre » peut inaugurer la rencontre avec un bébé. Une participante me demande ainsi s’il est normal de tomber amoureuse du bébé qui lui est confié, chose qu’elle n’a pas connu avec ses propres enfants. À l’objet choyé peut succéder l’objet rejeté, en un « je le rends » sans appel, lorsque la déconvenue succède aux premiers vertiges, que les symptômes de l’enfant paraissent inassimilables, insupportables.

Inévitablement se pose la question de la place de l’enfant dans le foyer d’accueil. Quel rôle symptomatique vient-il jouer dans le couple des accueillants ? Le partenaire de l’accueillante peut-il opérer comme tiers ? Avec le fantasme de l’amour maternel, quel manque l’enfant vient-il combler dans le désir de la mère d’accueil ? À quelle place se trouve-t-il assigné ?

Une dame se met à pleurer dans un groupe de parole : les parents de l’enfant qu’elle garde sont alcooliques, ce qui lui évoque l’alcoolisme de ses propres parents. Elle fait passer pour sien l’enfant qu’elle conduit chaque jours à l’école maternelle, et qui porte le prénom que son propre fils, mort en bas-âge voici plusieurs années.

Dans le cadre d’un placement familial dit curatif, Jenny Aubry se posait la question, au cas par cas, des contre-indications à l’accueil d’un enfant : « les nourrices chez qui le nourrisson viendrait combler un vide ou pour lesquelles il serait une compensation névrotique, celles enfin qui vibrent exagérément devant les malheurs de l’enfant, ne peuvent pas l’aider de façon durable »3.

Comment déloger l’enfant de son statut d’objet et lui donner accès à une place dans le symbolique ?

Accueil familial à l’abandon

Face aux symptômes de l’enfant, les assistantes familiales se retrouvent souvent bien seules et démunies. L’une témoigne que lorsque les parents viennent chercher leur fille en voiture pour le weekend, ils sont à chaque fois alcoolisés. La petite fille a peur. La décision du juge lui semble parfois incompréhensible.

Cette dame d’accueil, acquiesçant à une demande du service, prend en charge un garçon de 14 ans dont on a fait sentir l’état de nécessité. Elle accepte dans l’urgence, sans se trouver autrement informée de la situation de l’enfant. Elle apprendra par la suite, par bribes, qu’il en est à son troisième accueil et que les précédents se sont soldés par un échec. Le référent, se référant au dossier, évoque la schizophrénie. Effrayée, la dame en perd le sommeil, craignant que dans ses murs se reproduise le drame de Pau. On lui fait alors valoir la schizophrénie en tant que maladie. Elle s’en trouve rassurée, et toute question s’éteint, s’en tenant à ce qu’il prenne bien son médicament ; le côté compassionnel prévaut : « le pauv’tiot ! » Elle a néanmoins installé sur la porte de la chambre du jeune homme une sonnerie qui retentit à chacune de ses allées et venues…

Une énigme indéchiffrable

Éduquer est pour Freud un des trois métiers impossibles. Les idéaux éducatifs se heurtent en outre au réel de la psychose. Les situations extrêmes rapportées en supervision évoquent fréquemment une psychose infantile, parfois très lourde, ou l’autisme. Cependant, il se trouve que le cahier des charges définissant le rôle du superviseur exclut précisément la question du diagnostic. Certes, on voit mal qu’il puisse en aller ainsi au vu des situations rapportées : comment faire l’économie de la structure ? Quel universel de l’accueil familial pourrait-on promouvoir ? Il est permis de douter dans bien des cas du bien-fondé d’un placement en famille. Vraisemblablement, la psychose n’aura pas été repérée.

Une « énigme indéchiffrable », voilà pour Freud le sort réservé à l’enfant pris en charge en institution, dès lors que ceux à qui il est confié ne disposent pas de l’éclairage analytique. Tel est pourtant le cas de la plupart des enfants placés. Freud ajoutait que le moyen le plus accessible aux éducateurs était de « se soumettre à une analyse et de la vivre dans son être. »3

La marge de manœuvre du superviseur est bien limitée, face aux fragments épars qui lui sont rapportés. Elle constite, à chaque anecdote, à s’arrêter, s’étonner, pointer le caractère très singulier de ce qui est rapporté, demander plus de détails, proposer qu’on en reparle à la séance suivante… Faire sentir qu’il y a quelque chose à élucider. Sans cesse, il s’agit de ramener les participantes à un souci du détail pour dire la singularité de cet enfant, de mettre en avant la dimension de la rencontre, et du fait que derrière ces conduites, qui défient le sens commun, il y a un sujet qui émerge. Comment promouvoir l’éthique du sujet de la parole : cet enfant dont on vous a rapporté les symptômes spectaculaires, est-ce qu’il parle ? Que dit-il à son assistante maternelle ? Et elle, lui parle-t-elle ? Un petit de trois ans ne profère que des « oua oua » et des « miaou miaou » ; une jeune fille au seuil de l’adolescence s’alcoolise – la dame n’avait rien vu venir, « tout allait bien » pourtant ; un jeune garçon refuse de se séparer de ses excréments, il les conserve dans une boite – les boites à caca s’accumulent ; une demoiselle laisse trainer dans sa chambre, au milieu de ses affaires, des tampons périodiques usagés. Comment ne pas évoquer la psychose ?

Qu’on leur fiche la paix

D’avoir suggéré que l’on commence par laisser tranquille cet enfant pour qui le temps du repas est un moment très difficile, et qu’on le laisse se nourrir seul dans son coin, sans trop s’en occuper, a eu des effets. Il m’a été rapporté à la séance suivante que désormais il s’alimentait seul, et que ses repas étaient plus apaisés.

Nous avons aussi été amenés à réfléchir sur le dispositif très particulier – une sorte panoptique moderne adapté à la petite enfance, un œil absolu (G. Wajcman)qu’une dame d’accueil avait mis en place pour surveiller les deux enfants qu’elle a en garde, un garçon de 6 ans et demi, « plutôt remuant », et un autre de 3 ans, « plus calme ». Au moyen d’une caméra placée dans la salle de jeu, depuis ses fourneaux, elle les observe sur un écran. Un haut-parleur permet d’envoyer au plus âgé des deux les injonctions qu’elle estime nécessaires : « Va plus loin ! Range ça ! Laisse le petit ! » Nous réfléchissons à ce qui pourrait être dit à cette dame à la caméra. La réponse n’est certes pas évidente, mais il s’agit ici d’ouvrir le champ des possibles...

1. Lacan J., Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 368. (3)

2. Aubry J., Psychanalyse des enfants séparés, Paris, Denoël, 2003p.214.

3. Freud S., Préface à la 2ème édition de Jeunes en souffrance de August Aichhorn, publié dans La petite Girafe n°29.

Le printemps aux Champs Libres - Isabelle Fauvel

n° 57

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les ateliers du ri3

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Vos contributions sont attendues : 3500 signes, c’est bien

danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

Le printemps aux Champs Libres

Isabelle Fauvel

Une fraternité discrète

Le 18 mars 2010, aux Champs Libres, à Rennes, une soirée a réuni 450 personnes dont des représentants régionaux et départementaux remarquables : président de l’adapei 35, Directeur régional du creai, présidents d’associations de parents d’enfants autistes, associations ayant pour certaines des références de travail comme abba ou makaton, psychiatres hospitaliers, directeurs du médico-social…

Elle s’inscrivait dans le cadre de la Journée nationale de la santé mentale, et avait pour thème « Autisme : vivre ensemble ». Le premier enseignement que j’en retire, c’est que le succès de cette soirée tient à son inscription dans la cité. La psychanalyse d’orientation lacanienne nous invite à faire l’offre d’une présence dans la cité, pour tenter d’opérer, in situe, un bougé. S’inscrire dans la routine de la civilisation et œuvrer à la surprise en était l’enjeu. Le pari était donc de réunir, dans un lieu public, des personnes engagées dans le champ de l’autisme, pour qui, souvent, la psychanalyse peut se présenter comme une méthode parmi tant d’autres.

Jean-Claude Maleval et Jean-Pierre Rouillon, psychanalystes, étaient là présents, l’un universitaire et chercheur et l’autre directeur d’institution accueillant des enfants et des adultes autistes. C’est à partir de leur place respective qu’ils ont conversé. Ils ont démontré, lors de cette soirée, que le désir de l’analyste est unique. Leurs propos se sont articulés, répondus, mais jamais confondus. L’effet produit sur la salle a été incontestable ; cette conversation ouvrait le public à la joie de rencontrer dans ce dialogue des positions singulières. La psychanalyse sortait alors des cases qui lui sont régulièrement attribuées dans le discours établi ; elle ne pouvait être, ici, ni stigmatisée, ni identifiable sous l’égide d’un groupe de pensées. Deux sujets responsables et différents se présentaient à nous.

Ils se sont adressés au public dans un langage simple et ont démontré, en acte, l’accueil attentif qu’ils accordaient aux questions des familles et des professionnels. Yves Lapie, président de la Commission des Droits à l’Autonomie des Personnes Handicapées (cdaph), avait joyeusement accepté d’être leur intervieweur. De par sa fonction et son aura dans la cité, il représentait les associations de parents. Ainsi, les questions qu’il posait avaient une valeur toute particulière, se faisant le porte-parole du discours de la loi 2002 et de celle de 2005. Ses questions faisaient référence au champ politique et au contexte légal en vigueur… En honnête homme engagé, il a interrogé ces deux psychanalystes sur des enjeux citoyens dans le domaine de l’autisme.

J.-Cl. Maleval et J.-P. Rouillon, analysants civilisés, grâce à leurs talents, ont su mener l’art de la conversation, rebondir sur les questions telles que : « Que dire aux jeunes parents qui viennent d’apprendre que leur enfant est autiste ? » « Doit-on attendre l’émergence du désir ? » « Les recommandations des bonnes pratiques ? »… Cette position de fraternité discrète, cette présence attentive aux désarrois et aux questions de ceux qui souffrent ont eu un effet des plus apaisants et des plus vivifiants. Ils ont su faire apparaître le nouage qu’ils opèrent entre le politique et la clinique. Des psychanalystes pouvaient converser avec le président de la cdaph, répondre à des parents inquiets, sans faire surgir la colère et l’affrontement épinglés dans les différents rapports sous ce terme connoté de « guerre de chapelles ».

Cette soirée rennaise fut le fruit d’un long parcours : cartel, journées du RI3, conversation à Nonette en décembre 2009, travail de connexion avec la cité par l’acf-vlb, réseau des partenaires des praticiens d’orientation lacanienne auprès d’autistes. « L’être de ce collectif n’est qu’une relation individuelle multipliée »1. De nombreux organisateurs du champ freudien ont été des acteurs, cependant nous pouvons ici saluer la qualité des prestations des deux interviewés.

Du tout évaluable à la question du choix éthique : « Écouter les autistes. »

J.-Cl. Maleval a su transmettre la place qu’il accordait aux témoignages des parents d’enfants autistes ainsi qu’à ceux des sujets autistes eux-mêmes. Il ne s’agissait donc pas de faire l’apologie de la psychanalyse, mais de démontrer, en acte, par la transmission de ces témoignages, ce qu’implique cette orientation dans laquelle il s’agit de s’enseigner de la parole des sujets. Il a inscrit son propos sur un axe qu’il a ainsi défini : « Écouter les autistes. » Il a à partir de là isolé trois orientations : la cognitiviste, la comportementaliste, et les psychanalytique. Il a ensuite pu dire que si les résultats pouvaient être similaires en terme statistique, ces approches étaient différentes dans leurs démarches, les unes supposant le dressage, la psychanalyse requérant, elle, le consentement du sujet et prenant appui sur ses inventions, pouvant ainsi prendre la forme d’un jeu entre le sujet et son partenaire.

En introduisant la question d’un choix en terme éthique, il a évité l’enlisement dans des comparaisons de résultats en terme d’efficacité statistique, qu’il a balayé par ce revers de mot, « les résultats sont semblables », l’écueil du « tout mesurable et évaluable ». La dite guerre de chapelles perdait alors sa consistance du tout quantifiable.

L’expression du malaise dans la civilisation s’établit « sur l’opposition amis/ennemis qui bétonne, intensifie par là même l’aliénation subjective à l’idéal »2. Ce n’est pas au nom de l’idéal de l’efficace qu’il a desserré le nœud de la question ou d’une mise en exergue d’un combat entre des tcc et de la psychanalyse. C’est par la lecture de témoignages qu’il en a fait jaillir la différence. Pour cela, il a choisi de nous relater l’extrait d’un ouvrage d’un parent usant de punitions et du livre Écouter l’autisme3, parent utilisant le jeu pour approcher son enfant. Puis il a lu un texte de Donna Williams relatant qu’elle ne comprenait pas le sens de ces punitions.

Par ces vignettes pratiques, il a laissé la place aux sujets autistes et au choix qui engage le un par un. Tranquillement, est apparue la férocité à l’œuvre dans les méthodes comportementalistes sans que jamais la psychanalyse soit épinglée comme un idéal. Il a fait valoir que la différence entre les tcc et l’approche psychanalytique portait sur un choix éthique, qui, lui, est non quantifiable. « Il n’était pas un psy qui prêchait pour sa chapelle, m’a rapporté un auditeur, il nous a montré que le dressage était inutile. » J.-Cl. Maleval a fait passer le débat au-delà d’un effet de groupe opposant les tenants des tcc et ceux de la psychanalyse, par cette interprétation : « Écoutons les autistes. »

L’accueil de celui qui souffre :

J.-P. Rouillon a lui resitué l’histoire de l’autisme dans le champ sanitaire et médico-social. Il a rappelé qu’il y a une vingtaine d’années, nous parlions de déficience ou de psychose et que le mot autisme n’était pas utilisé. Nonette était à l’origine une institution à caractère social accueillant des enfants d’agents d’edf. L’accueil d’un garçon psychotique a mis à mal le dispositif d’apprentissage et de rééducation ; les éducateurs, démunis, ont alors sollicité le docteur François Tosquelles qui leur a répondu que « s’ils étaient en difficulté avec un sujet psychotique, il fallait en recevoir cinq » et il les a invités à rencontrer un psychanalyste. L’autisme est donc un concept moderne, a-t-il rappelé, et l’accueil des enfants psychotiques et autistes a bouleversé les pratiques dans le champ médico-social. Les psychanalystes, comme d’autres, les associations ou les éducateurs, ont participé à cette histoire ; ils n’ont pas reculé devant la tâche de l’accueil de l’insensé. Ce fut un moment important, car des représentants de l’adapei, présents dans la salle, se sont rappelés cette histoire, et cette nouveauté du mot autisme, des bouleversements des pratiques. C’est à l’occasion d’une rencontre d’un enfant en souffrance que la pratique clinique est devenue une urgence. J.-P. Rouillon, humble et délicat, a rappelé qu’il y avait bien là un réel difficile. La clinique est vivante et elle sous-tend, avant tout, une rencontre avec l’un qui s’engage et accueille l’impossible.

À la question de Monsieur Lapie : « On dit que pour les psychanalystes, il faudrait attendre l’émergence du désir ? », J.-P. Rouillon a répondu en témoignant que chacun des intervenants de Nonette cherchait à tisser un lien avec les sujets accueillis. Ce lien est souvent à réguler. C’est à partir d’une rencontre qu’un apaisement peut s’établir. Les intervenants de Nonette doivent consentir au hors-sens pour trouver le fil d’un vivre ensemble tempéré.

Monsieur Lapie a posé la question du diagnostic : « Que dire aux parents qui viennent d’apprendre que leur enfant est autiste ? » J.-P. Rouillon a rappelé qu’il connaissait le travail du Centre de Ressource Autisme et que son institution travaillait avec lui. Seulement, lorsqu’il rencontrait des parents, il devait souvent ouvrir une brèche par rapport à ce diagnostic, car il peut conduire au désespoir. Ce diagnostic peut avoir des effets ravageant lorsqu’il enferme le sujet et ses proches. Quand les parents s’adressent à Nonette, ils sont souvent épuisés, car le quotidien est difficile, ils savent que leurs enfants ne pourront ni travailler, ni se marier… Ils arrivent déboussolés car leurs enfants ne peuvent s’inscrire dans aucun discours établi d’un projet d’avenir convenu. Il a pu dire que l’accueil consistait à accuser réception de cette angoisse pour parier que quelque chose pouvait commencer, leurs enfants pourraient vivre avec d’autres, apaisés.

Yves Lapie a dit que les parents tenaient au statut du handicap car ils ouvrent des droits, des compensations. J-P Rouillon a répondu que Jacqueline Berger, auteure de l’ouvrage Sortir de l’autisme, ne souhaitait pas que ses filles soient rangées sous cette étiquette de handicap. Monsieur Lapie a conclu cette soirée dans l’élan initié par J.-P. Rouillon : « Chaque parent est différent. », ce qui provoqua les applaudissements de la salle.

J.-P. Rouillon a véhiculé dans son propos une interprétation entendue dans cette parole conclusive de M. Lapie : « Chaque parent est différent. » Chacun était, dès lors, renvoyé à la « solitude de son rapport à l’idéal »4

À la sortie, le directeur du creai, M. Yann Rollier me dit : « Il s’est passé quelque chose ce soir, des représentants d’associations de parents, virulents contre la psychanalyses, sont sortis tranquilles, apaisés. » Il souhaite que nous réfléchissions, ensemble, à une commission qu’il va mettre en place avec des parents d’enfants autistes. Il est très inquiet de la montée en puissance, dans les ministères, de l’influence des promoteurs de la méthode abba.

Quelque temps après ce 18 mars, le journal Ouest France a publié un article de J.Cl. Maleval, en page nationale…

Ce soir là, à nos épaules, une branche a fleuri.

ps : merci tout particulièrement à Alain le Bouetté, responsable du Bureau Rennes de l’acf-vlb pour les liens qu’il a su tisser dans la cité, avec les Champs Libres, et d’avoir permis à cet événement de connaître un retentissement public.

1. Miller J.-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’Ecole 2000 », La Cause freudienne n°74, Navarin, p.134.

2. Ibid., p.135.

3. Idoux-Thivet A., Ecouter l’Autisme, Editions Autrement, collection Mutations n°252, Paris.

4. Miller J.-A., op. cit., p.135.