Le RI3, base de reconquête - Nathalie Georges

n° 39

les ateliers du ri3

Vos contributions sont attendues : 3500 signes, c’est bien.

danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

Le RI3, base de reconquête

Nathalie Georges

Le traitement par l’urgence, telle est la solution paradoxale des insolubilia, préconisée par Jacques-Alain Miller. Pendant ces passionnantes journées du RI3, où la convivialité résonnait de la joie si particulière qui anime la pratique singulière de chacun, joie intense qui se partage aussi vite qu’elle a mis de temps à se couler dans les signifiants de la transmission, nous avons pris la mesure des enjeux actuels et pour les dix ans à venir.

La psychanalyse reste la référence, exigeante et insaisissable, de chacun de nos actes. Elle est le nom de la responsabilité de chacun dans le traitement des jouissances, la sienne et celle des autres, un par un, dont il se fait, dès qu’il le peut et parce qu’il le veut, partenaire.

Elle n’entend pas exercer le moindre monopole, mais résister tous azimuts à la poussée tyrannique de la jouisscience déchaînée.

Elle est résolument du côté du vivant, des liens si fous soient-ils qui font la poursuite de l’aventure humaine, en tant qu’elle ne renonce pas à son étrange solidarité avec les langues et la parole, dont elle exploite les ressources poétiques avec audace et prudence, sans prétendre faire recettes de ses inventions mais traces, peut-être.

Nos réserves ne sont pas infinies, sans doute, mais celles des tcc ne le sont pas non plus. La guerre des budgets a commencé, nous lui survivrons. Il y a eu des âges obscurs, et des personnes pour protéger à leur corps défendant des manuscrits et des chefs-d’œuvre, pour qu’ils traversent la nuit noire et le jour gris, mais qui ne sera pas sans fin. Ce pas, le RI3 l’avait inauguré il y a deux ans, Jean-Robert Rabanel le rappelait, évoquant les Journées sur l’autisme au cœur de Clermont d’où partit le ravage de la « culture de l’évaluation ». Il s’est conforté cette année à Bordeaux.

Nos échecs seront-ils toujours la matière de notre enseignement ? En tout cas ils nous invitent à la modestie. Le malentendu de l’enfant, si bien exploré par Philippe Lacadée, est aussi celui des parents que les analystes, tout à leur enthousiasme de découvreurs, n’ont pas toujours su accueillir. Cette page a tourné, et nous revoilà plus freudiens, si l’on se rappelle que c’est avec son Papa que Hans apprit à parler. Ce que les enfants de la génération des Lefort nous ont appris, doit être réinsufflé dans cette nouvelle clinique qui, au-delà de toute guérison, véhicule toujours l’attente, la prière, la révolte, soit ces modalités du désir humain dont Lacan savait qu’elles poussent comme les lys des champs sitôt que lom s’empare de la parole qui le saisissait depuis toujours mais il ne le savait pas, ce pourquoi, croisant un analyste ou un analysant, il s’était attardé, pour voir, et avait appris à entendre, sans le savoir encore. Abricabrac, l’association bordelaise créée par Maryse Roy, fera des petits.

Le RI3, base de reconquête, par Nathalie Georges

Le RI3, base de reconquête, par Nathalie Georges

Le traitement par l’urgence, telle est la solution paradoxale des insolubilia, préconisée par Jacques-Alain Miller. Pendant ces passionnantes journées du RI3, où la convivialité résonnait de la joie si particulière qui anime la pratique singulière de chacun, joie intense qui se partage aussi vite qu’elle a mis de temps à se couler dans les signifiants de la transmission, nous avons pris la mesure des enjeux actuels et pour les dix ans à venir.

La psychanalyse reste la référence, exigeante et insaisissable, de chacun de nos actes. Elle est le nom de la responsabilité de chacun dans le traitement des jouissances, la sienne et celle des autres, un par un, dont il se fait, dès qu’il le peut et parce qu’il le veut, partenaire.

Elle n’entend pas exercer le moindre monopole mais résister tous azimuts à la poussée tyrannique de la jouisscience déchaînée.

Elle est résolument du côté du vivant, des liens si fous soient-ils qui font la poursuite de l’aventure humaine, en tant qu’elle ne renonce pas à son étrange solidarité avec les langues et la parole, dont elle exploite les ressources poétiques avec audace et prudence, sans prétendre faire recettes de ses inventions mais traces, peut-être.

Nos réserves ne sont pas infinies, sans doute, mais celles des TCC ne le sont pas non plus. La guerre des budgets a commencé, nous lui survivrons. Il y a eu des âges obscurs, et des personnes pour protéger à leur corps défendant des manuscrits et des chefs-d’œuvre, pour qu’ils traversent la nuit noire et le jour gris, mais qui ne sera pas sans fin. Ce pas, le RI3 l’avait inauguré il y a deux ans, Jean-Robert Rabanel le rappelait, évoquant les Journées sur l’autisme au cœur de Clermont d’où partit le ravage de la « culture de l’évaluation ». Il s’est conforté cette année à Bordeaux.

Nos échecs seront-ils toujours la matière de notre enseignement ? En tout cas ils nous invitent à la modestie. Le malentendu de l’enfant, si bien exploré par Philippe Lacadée, est aussi celui des parents que les analystes, tout à leur enthousiasme de découvreurs, n’ont pas toujours su accueillir. Cette page a tourné, et nous revoilà plus freudiens, si l’on se rappelle que c’est avec son Papa que Hans apprit à parler. Ce que les enfants de la génération des Lefort nous ont appris doit être réinsufflé dans cette nouvelle clinique qui, au-delà de toute guérison, véhicule toujours l’attente, la prière, la révolte, soit ces modalités du désir humain dont Lacan savait qu’elles poussent comme les lys des champs sitôt que lom s’empare de la parole qui le saisissait depuis toujours mais il ne le savait pas, ce pourquoi, croisant un analyste ou un analysant, il s’était attardé, pour voir, et avait appris à entendre, sans le savoir encore. Abricabrac, l’association bordelaise créée par Maryse Roy, fera des petits.

Nathalie Georges

Conclusions des IXes Journées - Jean-Robert Rabanel – Président du RI3

n° 38

les ateliers du ri3

Et oui, c’est reparti !

Il y a du pain sur la planche, comme vous le lirez avec les Conclusions des Journées, ci-dessous.

Alors, pourquoi arrêter de tourner les pages du Feuilleton ?

Continuons donc les Ateliers du RI3…

Vos contributions sont attendues : 3500 signes, c’est bien.

Mêmes adresses : danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

Conclusions des IXes Journées

Jean-Robert Rabanel – Président du RI3

Conclure, c’est tenter de dire un mot sur le travail de ces IXes Journées. Je le fais avec l’idée que le propre de la conclusion d’un événement comme celui-ci n’est pas de fermer, mais plutôt d’ouvrir des pistes nouvelles.

Tout d’abord, je veux dire combien les textes préparatoires à ces Journées ont pleinement tenu leur rôle. Sélectionnés parmi les contributions parvenues à Daniel Roy, ces textes ont introduit au thème de ces Journées de la meilleure manière, nominaliste, au sens où ce sont les exemples qui sont des thèses, plutôt que l’inverse, ainsi qu’Éric Laurent aime à définir le RI3. C’est cette même attitude nominaliste que nous avons retrouvée tout au long des Journées, puisque ce qui est attendu du RI3 dans le Champ freudien, ce n’est pas des théories préalables, mais des pratiques, des expériences.

Ce qui a retenu mon intérêt durant ces Journées, c’est la rigueur des constructions, le goût de la surprise, l’investissement dans le travail, l’aimantation pour les inventions du sujet, l’accent sur le versant de création plutôt que sur le déficit, l’objectif de faire passer d’une position d’objet déchet du langage à une position de sujet.

Là encore, sans faire d’historique, je voudrais dégager quelques lignes de force caractéristiques de la démarche du RI3 depuis sa création en mars 1992 :

- Un certain pragmatisme, une certaine modestie qui lui a permis de tracer son chemin à son rythme, dans le fil des avancées des travaux dans le Champ freudien, des Sections cliniques.

- Une orientation, proposée par Jacques-Alain Miller, avec la pratique à plusieurs, qui consiste à se faire partenaire-symptôme du sujet, d’un parlêtre qui n’en passe pas par l’Autre pour traiter la jouissance, mais qui part de l’Un-corps, S1 sans Autre, S1 tout seul. L’éthique de l’analyse, le un par un, le soin de la singularité porté à l’extrême.

- L’importance de la dimension de l’échange de la parole hors sens dans la pratique avec les sujets reçus dans les institutions qui s’orientent de Freud et Lacan. Le S1 tout seul est le point de départ commun à cette pratique hors sens de la parole, mais aussi à une culture festive, aux productions artistiques. C’est l’offre que font les praticiens, dans les institutions du RI3, pour le traitement de la souffrance des sujets qu’ils reçoivent. Je disais : faire moins bien qu’eux revient à leur enlever quelque chose de la jouissance, provoque une perte de jouissance qui entraîne un gain de semblant, un pousse au semblant. C’est un point important à souligner dans l’œuvre civilisatrice qui est la nôtre

Aujourd’hui, à Bordeaux, l’urgence a permis de faire venir au premier plan la considération de la jouissance, de l’Autre vers l’Un. Il fallait ce thème, proposé par J.-A. Miller, de l’urgence à satisfaire pour que se dégage ce qui fait l’orientation de notre clinique par le réel.

L’analyste n’a pas à répondre à la demande du névrosé, mais à l’urgence d’un malaise qui n’est pas encore un symptôme, ou qui ne le sera jamais, pour le sujet qui n’en passe pas par le langage, par l’Autre du langage ou par le Nom du Père.

Il faut trouver à satisfaire l’urgence. Nous nous faisons le partenaire symptôme d’un parlêtre pour que quelque chose de son sinthome se fasse entendre et trouve par là satisfaction.

Les urgences ne sont pas à ramener seulement aux crises ou au passage à l’acte qui en sont la phénoménologie. Elles sont d’abord la cristalisation d’un parlêtre, pas seulement un qui a fait le choix de ne pas passer par le Nom du Père et par le langage pour traiter le réel. Elles sont la douleur même d’exister, comme statut natif du sujet, comme nous le reprenions à propos de l’autiste lors des dernières Journées du RI3, à la suite de J.-A. Miller, avec S1 tout seul, pour dire l’exil de l’Autre de chaque parlêtre. C’est ce qui fait de chacun de nous un cas d’urgence.

C’est dire qu’à côté de l’Autre que nous devons être comme partenaire-symptôme du sujet, sachons être présents pour reprendre et prolonger les inventions du sujet, ses sorties de crises, ses ajournements du traitement mortifère dans le réel à défaut du meurtre symbolique de la chose par le mot. C’est dire combien ces Journées s’inscrivent dans la suite de celles sur l’autisme, mais aussi de toutes les autres qui les ont précédées depuis 1993, puisque les institutions pour psychotiques de l’époque du discours analytique, se référant à l’enseignement de Lacan, sont des institutions où la prise en compte de la jouissance, tant au niveau clinique que thérapeutique, répond à la psychiatrie aujourd’hui. Elles se donnent comme but d’instaurer partout la particularité contre l’idéal. Mais, à côté du traitement de l’urgence, il y a le traitement par l’urgence, celle de l’acte, lui aussi sans Autre, tout seul, via le signifiant, comme l’interprétation coupure, bref, de l’Un qu’il y a, et rien d’Autre.

Aujourd’hui, le mode de satisfaction ne se fonde plus sur l’interdit, mais sur le don d’une satisfaction, tout en introduisant une perte. Cela est paradigmatique de la clinique contemporaine. Il y a, avec le tout dernier enseignement de Lacan, un traitement de la jouissance autre que le père, un traitement par l’objet, par le maniement de la lettre, par les dialogues différents. C’est ce que montrent les expériences particulières des institutions composant le RI3 : viser une limitation de la jouissance par le biais du don d’une satisfaction écornée.

Satisfaire l’urgence prend des formes multiples. Nous en avons entendu une grande variété avec une soixantaine d’interventions durant ces Journées, mais chacune pouvait bien résonner avec de nombreuses autres. C’est certainement la raison pour laquelle nous étions, une fois encore, si nombreux pour ces Journées du RI3.

Aussi, c’est pour le vaste ensemble que constitue le RI3, avec les institutions qui trouvent dans l’enseignement de Sigmund Freud et de Jacques Lacan l’orientation propre à leur action, mais également avec les praticiens isolés dans des institutions qui ne se réfèrent pas à la psychanalyse, que nous souhaitons prendre le vent qui souffle dans la psychanalyse aujourd’hui. Et, pour cela, je vous donne maintenant lecture du retour de la réunion du Bureau élargi du RI3 qui s’est tenue hier soir.

Face à l’envahisseur qui occupe le champ médico-social, et au-delà même, le RI3 occupe une position de base pour la reconquête. Hier, comme je l’avais annoncé, le Bureau élargi du RI3 s’est réuni avec le Conseil du RI3. Après avoir pris acte de la remarquable tenue de ces IXes Journées, nous avons voulu prendre une série de mesures au regard de la situation présente. La nouvelle importante est la suivante : le RI3 estime devoir poursuivre et, mieux, intensifier son action. Pas question de lâcher là-dessus.

Voici pour les mesures immédiates :

- Renforcer ce qui existe déjà : la liste de diffusion, le site Internet, les publications.

- Intensifier l’offre : les Journées, oui, mais pas tous les deux ans ; c’est trop long.

- Proposer, comme nos collègues de Belgique l’ont fait avec la réunion du RI3 Nord, des Ateliers du RI3, des réunions inter-institutions du RI3. Ces Ateliers du RI3 seront le prolongement des Ateliers que vous avez tous apprécié ce matin.

- Réaliser de petites publications, facilement utilisables dans le travail en institution, comme Le feuilleton de Daniel Roy pour la préparation des Journées.

Les mesures à plus long terme viendront, dans le détail, au fur et à mesure de la concertation entre les membres des instances du RI3, son Conseil, son Bureau, sous la forme des propositions que nous ferons parvenir à Jacques-Alain Miller, comme lui feront parvenir les leurs nos collègues du cien et du cereda.Mais, dès aujourd’hui, le principe a été admis de réinvestir les forces du RI3 dans l’Université Populaire de Psychanalyse Jacques Lacan.


RÉSEAU INTERNATIONAL DES INSTITUTIONS INFANTILES
du champ freudien

Accueil le samedi à partir de 11h
Fin des travaux le dimanche à 15h30
Faculté de Médecine – Université Victor Segalen – Bordeaux II
146, rue Léo Saignat – 33000 Bordeaux
Renseignements:
http://ri3.be
Tél.: +33 (0)5 56 63 19 01 / +33 (0)5 56 76 54 50 — Fax: +33 (0)5 56 63 69 34
K-urgence@orange.fr

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DERNIÈRES INFOS JOURNÉES du RI3

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sont closes

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RETRAIT DES DOSSIERS

A partir de 11 h

Faculté de Médecine

Université Bordeaux II – Victor Segalen

146, rue Léo Saignat – Bordeaux

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Il existe une navette pour le centre ville. 
Jet'bus : Temps du trajet : 45 minutes. 
Arrêts :

- Barrière Judaïque puis bus n°9 jusqu’à Barrière d’Ornano et 5mn à pied jusqu’à l’Université (entrée sur la gauche de l’hôpital Pellegrin)

- ou Grand Théâtre puis Tram 
place des Quinconces

Prenez la ligne B direction Pessac Centre

Descendez à l'arrêt Hotel de Ville (BORDEAUX)

Prenez la ligne A direction Mérignac Centre

Descendez à l'arrêt Hopital Pellegrin (BORDEAUX)

Si vous arrivez en train :

Le tramway (ligne C) part depuis la gare Saint-Jean

Prenez la ligne C direction Les Aubiers

Descendez à l’arrêt Porte de Bougogne

Prenez la ligne A direction Mérignac Centre

Descendez à l'arrêt Hopital Pellegrin

consultez http://www.infotbc.com/


Vers les Journees

Les IXes Journées du RI3, ce sont 57 interventions, en séances plénières et en ateliers, dans lesquelles des assistantes médico-psychologiques, des éducatrices et éducateurs, des infirmières, des logopèdes, des psychanalystes, des psychiatres, des psychologues, des psychomotriciens, nous diront comment elles/ils se débrouillent quand elles/ils se découvrent, soudain, embarqués dans « une zone d’urgence » avec l’une/l’un de celles/ceux dont ils ont professionnellement le souci, au sein d’institutions telles que Antenne, Centre ou hôpital de jour, et de nuit, Clinique psychiatrique, Consultori, CTR, IME, ITEP, et autres, en Belgique, en Espagne, en France, en Italie.

Les IXes Journées du RI3, c’est l’occasion pour tous celles-là/ceux-là d’essayer de dire au plus prés de leur pratique comment la psychanalyse leur permet de s’orienter et d’orienter leurs interventions, hors des sentiers battus. Les personnes dont ils prennent soins, souvent ségrégées, rejetées, comme cela fut le cas depuis de longues années, mais aussi cataloguées, normées, comme cela est de plus en plus le cas, retrouvent dans ces interventions une dignité nouvelle. Il faut entendre ça ! Ce sera discuté, questionné, par des collègues qui connaissent ces situations et aussi par d’autres qui mettront leur savoir et leur savoir-faire au service de ces discussions.

Les IXes Journées du RI3, ce sont deux jours où des praticiens se retrouvent et essayent de répondre à la question que Jacques Lacan posait à d’autres praticiens le 22 octobre 1967, en conclusion de Journées sur Les psychoses de l’enfant : « Quelle joie trouvons-nous dans ce qui fait notre travail ». Il y aura des moments de travail et aussi des moments de détente, en particulier la soirée de samedi soir avec dégustation de vins, repas, musiciens et DJ et d’autres surprises.

Les IXes Journées du RI3 se préparent sur le site du RI3 http://www.ri3.be , où se trouvent tous les documents pour s’inscrire et trouver un hôtel, et sur la liste, où un Feuilleton régulier donne à lire les diverses facettes de notre thème « Cas d’urgence ». On s’inscrit à la liste en envoyant un message à l’adresse : laliste-subscribe@ri3.be

Bienvenue à Bordeaux les 23 et 24 janvier !

Pour la Commission d’organisation

Maryse ROY, Philippe LACADÉE et Daniel ROY

Le cristal de l’urgence - Commission des IXes Journées du RI3

n° 37


Le cristal de l’urgence

Commission des IXes Journées du RI3


Le feuilleton touche à sa fin avec ce n°37 et l’argument des Journées de Bordeaux.

À bientôt sur le site du RI3

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Quand trop, c’est trop

Il y a des moments où l’enfant, l’adolescent, que nous accueillons dans nos institutions, témoigne de quelque chose « en trop » - dans ses pensées, dans son corps, dans sa rencontre avec les autres, quelquefois dans notre simple présence -, quelque chose qui a surgi et qu’il lui est impossible de traduire en mots.

C’est l’enfant autiste dont un autre s’est approché de trop près, c’est l’adolescent auquel on a « mal parlé », c’est un événement qui s’est produit dans l’entourage. L’enfant ou l’adolescent est alors confronté à une présence obscure et à l’absence de toute représentation pour cette chose nouvelle qui lui arrive, absence qui se fait « criante », voire insultante. Maintenant, c’est ce vide, ce trou, qui le regarde de travers, qui veut le dévorer ou qui exerce un implacable rejet.

C’est ainsi que, soudain, un sujet entre dans le temps et l’espace de l’urgence, et il n’y a plus de possibilité de retour en arrière. Cela n’est plus comme avant et cela paraît sans remède. Une rupture des chaînes, une déchirure de la trame, trop de souffrance, c’est maintenant que cela se passe. C’est un cas d’urgence.

Un moment de décision

Face à ces moments de précipitation, nous sommes bien souvent désorientés dans la conduite à tenir : que faire ? que dire ?

La pression sociale, les attentes de la famille, sont fortes pour ces enfants que l’on a voulu « intégrer » et dont l’angoisse fait maintenant effraction, pour ces adolescents qui « pètent les plombs » quand est apparue une figure d’autorité. Lors d’une première rencontre, nous n’avons pas le mode d’emploi, nous ne sommes pas sûr de parler la même langue, mais nous espérons trouver avec le sujet et ceux qui prennent soin de lui d’autres issues, d’autres solutions, pour traiter cet « en-trop ».

Même embarras quand l’urgence surgit dans le quotidien de l’institution, alors que nous pensions avoir tissé une trame solide autour de cet enfant qui « fait sa crise » et met à mal les autres enfants et les murs de la maison.

Que cela soit face à une demande d’accueil « en urgence » ou face à un moment de crise dans l’institution, la précipitation des cas d’urgence nous oblige à conclure dans la hâte, avant qu’ils ne se concluent, le plus souvent dans un passage à l’acte.

Sur quoi pouvons-nous alors fonder notre décision? Une boussole : pour le sujet, dans cette modalité particulière de l’adresse qui ne demande pas, mais exige impérativement de l’autre une réponse, dans cette contraction du temps et de l’espace subjectifs, quelque chose s’est décidé en lui et nous pouvons nous en orienter.

Oui, il est urgent de répondre à l’urgence, quelle que soit sa manifestation phénoménale, pour autant que notre intervention se règle sur ce trait d’événement imprévu, de hors-sens, qui est au coeur de l’urgence.

Quand l’exception, c’est la règle

Pour l’individu comme pour le collectif, les lois de « l’état d’urgence » sont des lois d’exception : quand un sujet est entré dans cette zone, il se produit lui-même comme objet, objet rejeté, objet à détruire ou objet destructeur. Il s’agit pour nous de l’accompagner dans ce moment de simplification mortelle pour en limiter les ravages, avec les moyens qui conviennent, qui ne sont pas toujours ceux de la parole, même s’ils visent à retrouver les complications que nous fait le discours.

Dans les institutions du RI3, orientées par la psychanalyse, nous cherchons avec le sujet, et nous les suscitons, les diverses occasions où il pourra élaborer les traductions singulières de l’insupportable qui fait son tourment. Comment vont-elles pouvoir loger cette exception dont l’urgence fait signe ? Comment vont-elles permettre une issue pour les significations qui s’y trouvent prisonnières ? Un pari, qui n’est pas déjà écrit dans des règles ou des règlements, est à chaque fois appelé pour y répondre, à côté. La contingence d’une rencontre entre l’enfant et un intervenant, les mots et les lettres qui s’y produisent, peuvent alors faire points d’appui, traces à partir desquelles quelque chose d’une exception peut commencer à s’écrire dans « une fraternité discrète ».

Les Journées du RI3 seront l’occasion d’entendre comment nous accueillons, au-delà de toute « aide samaritaine » et de tout idéal de normalisation, le cristal de l’urgence, avant qu’il ne vole en éclats …


Toutes les informations concernant les Journées sont sur le site

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Écouter les soupirs de l’énonciation - Danièle Rouillon – CTR de Nonette

n° 36


Écouter les soupirs de l’énonciation

Danièle Rouillon – CTR de Nonette


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C’est un autre témoignage. Intense et incisif. Notre collègue Danièle Rouillon s’approche au plus près, par l’écriture, de ce point évoqué dans Le feuilleton n°26, et ici décliné dans son asymptote : comment occuper la place de l’effet de rejet d’un hors-discours ? Eh bien, c’est en ce point que peuvent surgir des « effets de rebroussements » et que « ils » et « elles » peuvent faire une timide entrée dans « la cité des discours ». Ce qui suit vaut démonstration. DR

Dans ce tourbillon de brefs entretiens avec l’un puis l’autre, un masque s’installe sur mon visage. Que suis-je devenue à travailler dans leur monde où les objets de la pulsion sont des réels à manipuler avec délicatesse ?

Pour résister contre ce siphon, je répète des phrases dans ma tête : « il y a sûrement quelque chose à leur dire, ne pas trop s’en occuper, ni les regarder ». Je suis de plus en plus concentrée : je suis toute en rétention, ma voix prend un voile, je retiens ma respiration, je n’ai plus faim. Je suis sur le qui vive, à chaque instant il peut se passer quelque chose dans ce calme apparent. Mon visage ne peut plus masquer la fatigue, le stress. Je suis tel le chirurgien dans la salle d’opération, prise par mille gestes, dires pour opérer dans le symbolique, dans le réel. Ceux avec qui le transfert s’est mis en place me parlent. Cela me fait penser que tout ce travail n’a pas été vain même si je dois interrompre le dialogue avant que les voix ne deviennent insupportables. Ils me soutiennent. Un matin où je n’ai que le désir de repartir de cet asile qu’est Nonette, Lecredo m’accueille « ha, ça fait du bien de venir à Nonette ». Sa parole me délasse, chasse mon égoïsme. Je le remercie ainsi que la clinique ironique qui a humanisé ce sujet. Dans sa lalangue, il traite l’anal qui faisait symptôme d’automutilation : « analytique, psychanalytique, psychotique, symbolique, Réel, imaginaire ».

Aurore, visage ébouriffée sur un corps massif vient vers moi. Je lui propose ma main, elle s’y appuie comme Zazie dont elle reprend gestes et sons. Aurore trouve à exister en étant une autre. Les épisodes à 13h 30 heures se répètent dans le même scénario quand les images des éducateurs du matin vont partir et celles de l’après-midi vont arriver à 14 Heures. Même le grillage ne fait plus limite, elle creuse la terre, ondule et passe dessous. Elle part, égarée. Je vais la chercher dans les chemins, je la retrouve assise à une intersection. Dans la voiture, je donne à entendre la mélodie de la voix de Jacques-Alain Miller qui parle d’histoires de psychanalyse. Je fais mine de ne pas voir Aurore. Je me gare à distance, j’attends qu’elle vienne vers moi. Parfois c’est moi qui entame le dialogue « vous êtes perdue ». Elle fait l’effort d’entrer dans ma voiture avec délicatesse. Et avec J.-A. Miller, nous revenons au CTR attendre l’arrivée des collègues. Je maintiens le lien à distance, je suis très occupée à écouter les soupirs d’énonciation de JAM. À cause de la neige son analyste n’est pas venu depuis deux semaines. Hier par deux fois je l’ai cherché sur la route et l’ai raccompagnée. La troisième fois, je suis revenue seule, ne voulant pas laisser trop longtemps ma collègue seule avec les autres jeunes. Un appel téléphonique nous informe inexactement qu’elle est près d’un pont. Je n’ai plus d’essence. J’explique la direction à ma collègue. Je ne comprends pas car ce n’est pas l’itinéraire habituel d’Aurore. Toute la matinée, j’avais tenté qu’elle s’accroche à mon image, à mes mots. Elle sera retrouvée dans le sens opposé du pont. Dans la neige, dans le transfert à l’analyste, elle a suivi le trajet de la route pour le rejoindre. Ma proposition de lui écrire ne l’a pas satisfaite. Ce dont je n’ai pas été capable, c’est d’informer son analyste. Avec ces sujets, je suis souvent impuissante à entendre la petite voix silencieuse qui leur parle et les fait agir. Pendant que ma collègue la cherchait. Inquiète pour Aurore, je devais accompagner les 11 autres jeunes pour le repas.


Être présents pour Ahmed - Céline Escarpit, Philippe Cousty – ITEP de Morcenx

n° 35


Être présents pour Ahmed

Céline Escarpit, Philippe Cousty – ITEP de Morcenx


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En venant à l’ITEP de Morcenx, avec une demande d’internat de la part de l’institution précédente, Ahmed a laissé sa famille, son école, son ancienne institution. Plus il demande à renouer ces liens, plus les choses se dégradent. Page après page, rencontre après rencontre, il nous convoque à agir dans l’urgence, à inventer, à se relayer.

Insultes, cris, coups, Ahmed est incontrôlable, collé à un autre enfant. « J’aurais aimé que l’on se parle mieux », dis-je, mais il n’entend pas. Alors, je prends Ahmed par le bras et le conduit à l’écart. Nous nous asseyons. En silence, nous échangeons des post-it . Il écrit : « Je suis en bois. » C’est vrai, il semble raide comme du bois et il y a son père qui boit, et son prochain atelier, l’atelier bois. Y a-t-il quelque chose à desserrer autour de ce mot ? Je lui écris : « On peut dire aussi dur comme du bois, ou je touche du bois. » Je lui tends, il me rend le stylo, j’écris : « C’est un boit-sans-soif » ; « Bois ta lettre. » Encore : « De quel bois je me chauffe ? » ; « Il boit comme un trou. » Puis j’arrête, j’attends. Il écrit à son tour : « J’essai de mieux parler. » Il sort apaisé. Petite accroche à l’autre, passage par l’écriture. Nous prenons note. Après cela, il confie qu’il commence à entendre des voix qui disent des choses qui vont se passer, qu’il est médium.

À l’école, il est en conflit permanent avec l’enseignante, les autres enfants. Il peut dire : « Je me contrôle mais je ne vais pas me contrôler longtemps. » Mais très rapidement des mots orduriers à répétition, des insultes, des actes où il s’enferme dans les toilettes, se suspend à la porte, enferme l’AVS, conduisent l’école à demander une déscolarisation. Il sera mis en arrêt scolaire par le médecin pour un temps important. L’urgence encore… Que faire ? Nous nous asseyons avec lui. Ne pouvant parler, il écrit : « Je suis suspendu, j’ai des mots dans la tête, des images, je ne peux les arrêter. » Ou encore, parlant d’un autre enfant avec qui il s’allie à l’école, il écrit : « Je ne veux pas me détacher. » Il nous demande de l’aider, nous avons donc avec lui la charge de cela. Il rencontre le psychologue avec Bruno, le chef de service. Ces phénomènes ont pour support hallucinatoire un personnage issu d’un scénario de Stephen King. C’est un clown, il s’appelle « Ça », il hante les jours et les nuits de Ahmed qui nous dit : « J’ai une télé dans le cerveau. Quand c’est trop dur, je change de chaîne. » Il nous dit qu’il n’arrive pas à se détacher, que tout cela est arrivé quand il est venu à l’hôtel d’enfant : « J’aime pas être seul, j’aimerais être dans une chambre avec quelqu’un parce qu’il y a quelqu’un au moins. »

Premières mises en mot, premier dépôt au lieu d’un Autre, premières élaborations. Nous allons donc essayer de suivre sa proposition en réaménageant sa place à l’hôtel d’enfant. Il part apaisé accepte de revenir. Nous lui proposons une rencontre avec le pédopsychiatre pour un traitement. Il accepte. C’est une solution bricolée, nous tentons de faire accroche en comptant seulement sur la présence que nous avons auprès de lui. Reviendra-t-il ? Cela servira-t-il ? Nous ne savons pas a priori. Dans l’urgence, on est poussé à l’acte, au bon sens du terme, pour faire séparation de cet en-trop, de ce « ça » à ciel ouvert.


Sur l’urgence - Pierre Jacobs – Antenne 110, Bruxelles

n° 34


Sur l’urgence

Pierre Jacobs – Antenne 110, Bruxelles


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J’ai pensé écrire quelques lignes sur un moment d’une journée, du lever du mardi matin jusqu’au début du premier atelier, temps qui se révèle compliqué pour plusieurs enfants et particulièrement pour Rachel depuis quelques semaines. À peine réveillée, elle se montre très agitée, concernée par tout ce qui se passe, comme par exemple l’habillage des autres enfants, les paroles de l’un ou de l’autre. Rachel cherche à être « la chef » et n’hésite pas pour cela à crier, à agresser enfants et parfois même adultes. Feindre de l’ignorer (en tout cas jusqu’au coup), car dans ces moments j’ai l’impression qu’elle se montre à voir, l’arrêter fermement n’opère que dans l’instant présent et très vite elle repart de plus belle. Dès lors, que faire ? Comment l’apaiser ? Comment tenter dans ce temps-là un décalage, un pas de côté permettant d’ouvrir un autre champ que celui où elle fait et dit être la chef ?

Depuis un bon mois, avec Nathalie, nous avons fait deux propositions, qui au départ étaient adressées à tous les enfants, et qui ne sont pas sans effet, en tout cas pour le moment, sur l’atmosphère volcanique dans laquelle nous étions souvent plongés jusque là le mardi matin. D’une part, Nathalie a proposé à certains enfants de s’habiller en bas, et ensuite de prendre le déjeuner en regardant la télévision. Plusieurs enfants ont été preneurs de cette offre, dont Rachel, et vont depuis s’habiller et prendre le déjeuner dans la pièce télé. Cette division du groupe, ce deuxième espace constitué a nettement allégé l’ambiance qui régnait jusque-là. D’autre part, la semaine suivante, j’ai proposé à plusieurs enfants de venir prendre à la cuisine un petit déjeuner avec un menu plus inhabituel que de coutume : œufs sur le plat et lardons. Rachel s’est alors montrée intéressée par ce déjeuner et me demande depuis, chaque mardi, de pouvoir y avoir une place. Au départ, j’ai posé une condition minimale à la présence des enfants à ce petit déjeuner qui est, en gros, que cela se déroule dans une ambiance sereine. D’emblée, cette condition a posé difficulté à Rachel (ce n’est pas la seule) dans la mesure où elle a cherché à s’approprier la maîtrise de ce moment. Nous avons du introduire une série de limitations et de possibles :

- Avec Nathalie, nous l’avons invité, la semaine dernière, à choisir entre nos deux petits déjeuners. Jusque là, Rachel demandait pour s’habiller en bas, regarder la télé et ensuite venir me chercher pour prendre avec moi le déjeuner. Une limitation donc, mais aussi un possible, celui de faire un choix et de s’inscrire à une place. Rachel a su faire ce choix et a décidé de venir à la cuisine.

- Une limitation par rapport à la nourriture où elle a tout de suite mis en place différentes « stratégies », par exemple en exigeant, en me suppliant à genoux, en chapardant dans l’assiette d’un autre enfant quand j’ai le dos tourné, pour obtenir le plus possible, voire tout pour elle. Mais un possible aussi, par exemple lorsque j’ai soutenu son initiative d’ajouter à notre menu un triangle de fromage qu’elle sert à chacun d’entre nous.

- Une limitation, sous forme d’un rappel des conditions de la présence de chacun à ce déjeuner, lorsqu’elle cherche à dominer ou intimider un autre enfant.

Bref, au-delà du petit-déjeuner, qui n’est qu’un prétexte au fond, ce que je trouve intéressant, c’est qu’à partir de son envie d’être là, un nouvel espace s’est ouvert : un lieu où des paroles s’échangent, et plus seulement des ordres, des injonctions, des cris, des rapports de force.

Si cela a permis à Rachel un petit décalage, il reste en même temps très fragile et éphémère. Très fragile, car si certaines limites sont entendues, elle reste dans un schéma d’action où elle est sur le seul axe imaginaire et où l’autre demeure son rival. Éphémère, car les deux dernières semaines, entre la fin du petit déjeuner et le début de l’atelier, je pense qu’elle s’est retrouvée au bureau pour avoir frapper un enfant. Ce ne fut pas le cas ce mardi mais nous avions entre adultes mieux pensé notre présence entre la fin du déjeuner et le début de l’atelier.

« Pas extraction » car il me semble que la présence (prise de position, offre) de certains autres adultes de l’Antenne lui permettent davantage d’être « extraite » (de s’extraire) de cette position d’Autre non barré, qui fait la loi (en tout car sur un temps défini et en lien à la présence réelle de l’adulte). Dans ces moments, ce n’est plus la même enfant. À mettre au travail donc, de mon côté !


Urgence et scolarisation - Éliane Calvet – Hôpital de Jour d’Aubervilliers

n° 33


Urgence et scolarisation

Éliane Calvet – Hôpital de Jour d’Aubervilliers


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Parfois, la question de l’éventuelle déscolarisation d’un adolescent absentéiste est très angoissante pour ses parents, pour qui l’inscription sociale de la scolarité est fondamentale. Leur inquiétude les empêche de penser qu’il est question d’entendre ce que leur enfant dit dans ce refus de se rendre au collège, et que l’urgence est plus subjective que scolaire.

Virgile a été un bébé anorexique et a depuis toujours des problèmes scolaires. À quinze ans, à la suite de la rencontre de sa mère (divorcée) avec un ami, il s’est mis à insulter ses parents de vive voix ou par SMS ; il avait des accès de violence dès qu’ils voulaient l’obliger à obéir, ou lui refusaient quelque chose, des fou-rire devant les miroirs, et une recrudescence des tics et des rituels. Impossible d’occulter ou de banaliser ses problèmes, de continuer aussi à faire tous ses devoirs.

Il a commencé à refuser d’aller au collège, d’abord pour les contrôles, puis pour le sport, alors que c’est l’activité qu’il avait jusqu’alors en commun avec son père ; il joue très bien au tennis, même s’il a toujours jusque là refusé les matchs. J’ai soutenu ce refus après qu’il m’ait dit, les larmes aux yeux : « Je ne veux plus aller au collège. » Il n’a pas pu m’en dire plus sur ses raisons. « Ce refus, c’est bien vous », ai-je conclu.

Il a accepté de finir son année à domicile, avec l’aide du CNED et de deux enseignants, créant les conditions d’un hôpital de jour à domicile, faisant uniquement des activités qu’il avait choisies, scolaires et sportives. Plus il était autorisé à rester chez lui, plus il a commencé à se déplacer de façon autonome, se rendant seul chez son père, prenant des initiatives, et se mettant à travailler scolairement seul.

Il a aussi commencé à supporter de faire des matchs de tennis et de badmington, et donc de risquer de perdre. Il a expliqué, en écrivant des petites pièces de théâtre, ce qu’il ne pouvait pas dire à son père, par exemple qu’il n’aimait pas faire du ski sur des pistes trop raides parce qu’il avait peur du vide.

La rencontre avec un manque, perdre, le vide, est particulièrement angoissante pour lui, mais elle est la condition nécessaire à l’émergence d’un désir.


La « mouche » ou l’urgence de la lettre - Maria Noemi de Araujo – CIEN-CNIPP, Brésil

n° 32


La « mouche » ou l’urgence de la lettre

Maria Noemi de Araujo – CIEN-CNIPP, Brésil


Le feuilleton est lu au Brésil avec une attention qui l’honore et il a grand plaisir à publier la participation de notre collègue Maria Noemi de Araujo que nous remercions chaleureusement.

Dans « Urgence de la poésie » (Le feuilleton n°15), Ph. Lacadée invite institutions et psychanalystes à explorer ce qui « peut surgir d’un acte de parole ». L’inconscient « structuré en tant que langage » ou, dans les mots du chanteur brésilien Raul Seixas1 :

Je suis la peur du faible

La force de l’imagination

Le bluff du joueur

Je suis, je fus, j’irai (Raul Seixas)

La parole étant un objet culturel, un certain travail est nécessaire pour la produire ou la faire surgir. Quel est le prix de sa production dans l’urgence ?

L’urgence : l’inclusion dans les listes d’adoption nationale et internationale d’une fratrie d’âge avancé. Ana, huit ans, « refusait d’être adoptée » et encore moins « séparément de ses frères » de dix et quatre ans, bloquant ainsi l’aboutissement de la démarche. Ana risquait entre autre d’avoir des règles prématurées, « auquel cas personne ne voudra l’adopter », concluait la psychologue stagiaire de l’institution religieuse responsable de la garde des enfants. Elle demandait qu’une psychanalyste puisse préparer l’enfant à entendre la décision du juge : « Ana et ses frères ne verraient plus jamais leur mère, deux ans après avoir été séparés d’elle par la police et présentés au Juge des mineurs. ». Accusée de négligence dans l’éducation de ses enfants, en les exposant au danger et en facilitant d’éventuels abus sexuels, Maria, porteur de déficience mentale et sans domicile fixe, avait perdu la garde de ses enfants. Le père d’Ana se trouvait en prison.

La proposition. Les enfants en situation de risque, issus des quartier défavorisés, que l’on nous achemine, ne peuvent généralement venir en rendez-vous par manque de moyens financiers. L’institution responsable de la garde des enfant ayant consenti à payer le transport de l’enfant, j’ai accepté de recevoir Ana, mais pas seule. Ma proposition : voir les trois enfants ensemble, puis séparément.

La rencontre. La première rencontre coïncidait avec la rentrée scolaire. Ana, Marcos et Fernanda sont arrivés dans le cabinet de la clinique2 en demandant de l’eau, bougeant à droite et à gauche, agités, touchant à tout et renversant les objets par terre, impatients de parler. Ils parlaient en même temps et sans arrêt, mêlant, sans la moindre maîtrise, poncifs moralistes et religieux et faits vécus à l’école ou dans le métro, qu’ils voyaient pour la première fois. Ils ne parvenaient pas à nommer quoi que ce soit… Ils appelaient tout le monde « tata » ou « tonton »3. Ayant, avec beaucoup de difficulté, admis qu’ils pouvaient m’appeler par mon nom, ils ne parvenaient pas à le prononcer correctement. Taisant leur vécu dans l’institution et instruits à ne rien raconter de leur vie avec leur mère dans la favela, ils se réprimaient et se contrôlaient les uns les autres du geste et du regard.

Les risques. La psychologue insistait sur les risques que représentait un tel déplacement : deux heures de transport, entre le bus et les correspondances de métro, avec des enfants sous garde judiciaire. Le risque de fugue était réel. Il n’y avait pas de lieu pour recevoir un psychanalyste au sein de l’institution, de par sa nature même d’« institution fermée ».

L’urgence d’un calcul. Face à cela, j’estimai que ce serait peut-être notre seule rencontre. Je fis le pari de la constitution immédiate d’un lien social qui puisse apporter un peu d’apaisement à ces enfants et provoquer une rupture dans cette insistance à ne pas pouvoir nommer. Dans leur discours, une urgence à dire ce que l’institution interdisait : le nom de la mère. J’inventai alors un jeu rapide, inspiré de la Pédagogie des opprimés de Paulo Freire, dans lequel « l’opprimé » en voie d’alphabétisation est invité à extraire de son contexte socioculturel un mot significatif, générateur de conversation. Pour faire surgir le mot interdit, je suggérai que les enfants disent leur nom et, prenant la place du scribe, je me mis à écrire tandis qu’ils dictaient.

De la lettre au mot non dit. J’écrivis leurs noms sur une feuille et, lorsque je demandai : « Et le nom de votre mère ? » Silence ! Ils se regardèrent tous les trois et serrèrent les lèvres. J’insistai, affirmant qu’ici, tous les mots pouvaient être dits… Ils répondirent en même temps.

Le jeu : chacun devait identifier la lettre commune à son nom, celui de la mère et de ses frères : Maria – Marcos, Ana et Fernanda. Suivit un long silence. Puis ils constatèrent que la lettre « a » reliait leurs noms à celui de leur mère. Ils fêtèrent la découverte et parlèrent ensuite beaucoup de la dernière fois où ils l’avaient vue et de combien elle leur manquait. Les rendez-vous suivants, lors de séances individuelles, chacun a utilisé à sa façon cette découverte dans des associations libres. Ils n’ont cessé de demander le nom des choses, et se sont souvenus de leur maison, de la rue et du ruisseau qui traversait la favela…

La lettre « a » est dans mon nom

Des rêves je suis l’amour

Je suis le tout et le rien

Je suis l’amertume de la langue

Je suis le début

La fin et le milieu (Gita, Raul Seixas)

a Objet de la culture. Comme Albert (Le Feuilleton n°11) qui, par le biais d’un jeu, a pu se réapproprier son histoire, le travail consistant à faire ressurgir le mot a rendu aux enfants quelque chose que l’institution leur avait volé – le nom de leur mère et l’ « histoire de la famille a ». Fils de pères différents, le nom commun de la fratrie n’était pas celui du père mais celui de la mère (Silva). Aucun des parents ne s’est présenté au Juge pour réclamer ou assumer la responsabilité des enfants. Un cas parmi tant d’autres : « Maria da Silva ». Ce texte dialogue avec l’urgence de la lettre a – objet culturel si cher à la psychanalyse d’orientation lacanienne –, lettre que Lacan extrayait de son contexte culturel pour qu’elle devienne génératrice de notre conversation. Une conversation qui n’a toutefois pas atteint les urgences de la Loi ou de la Justice.

Ana a cultivé l’espoir de flâner à nouveau librement dans les rues avec sa mère. Dans l’institution, elle répondait agressivement et de façon provocante à l’investissement dans son infantilisation et à toute production d’un désir d’adoption et de vie de « petite fille bourgeoise » telle que représentée dans les télénovelas : elle rejetait sa poupée, criait, désobéissait, ne respectait pas les règles du groupe, proférait des gros mots. Dans le même temps, elle ne dormait plus, restant éveillée par peur de voir ses frères maltraités ou enlevés. En consultation, comme ses frères, Ana arrivait toujours en chantant et en dansant, me serrait dans ses bras et me demandait de raconter toujours la même histoire : Alice au pays des merveilles. Elle a une véritable fascination pour l’écrit. Ana a soif de savoir.

Rupture. Comme l’a chanté Seixas :

Je suis la mouche qui s’est posée sur ton potage

Je suis la mouche qui est là pour t’agacer

Et rien ne sert

De me désinsectiser

Car même le D.D.T.

Ne peut m’exterminer

Si tu en tues une

Une autre vient prendre sa place

Tel une mouche, l’inconscient de ces enfants s’est posé sur le potage de l’institution pour l’agacer. Comme l’affirme Ph. Lacadée, l’institution a encore beaucoup à travailler pour être à la hauteur des jeunes et des enfants auxquels elle s’adresse. Indépendamment du travail de chacun, les « adoptables » ont été soumis à une rupture brutale de plus, lorsqu’ils furent brusquement retirés de leurs analyses individuelles. Ceci était justifié par le manque d’infrastructure, qui rendait impossible leur déplacement au cabinet, et de surcroît par l’urgence de l’adoption. Les frères furent acheminés vers une psychothérapie comportementale. Ana fut remise à la psychiatrie. Considérant comme un passage à l’acte le geste d’Ana de monter sur le muret du terrain de sport en hurlant des gros mots et des « Je veux ma mère », l’institution fabriquait à son tour son propre passage à l’acte en acheminant Ana vers la psychiatrie. Une seconde rupture qui a fait taire Ana. Comme Max (Le Feuilleton n°13), elle fut victime d’un diagnostic psychiatrique à son insu. Dopée par des antidépresseurs, serait-elle plus à même de répondre à l’urgence de l’adoption internationale ? Chacune ayant vieilli à sa manière, en quittant l’analyste en répétant « Je veux ma mère », Ana sortait comme Zazie entrait en scène, en répétant : « Je veux voir le métro. » « Chacun sa route, chacun son chemin », chantait Tonton David…

Traduction : Carim Azeddine

1. Raul Seixas : pour écouter Gita et Mosca da Sopa : www.youtube ; http://letras.terra.com.br/raul-seixas/48312/

2. Clínica Lacaniana de Atendimento e Pesquisa em Psicanálise - São Paulo, Brésil.

3. « tia » et « tio » sont les termes communément utilisés par les enfants pour s’adresser aux instituteurs. Les enfants de rue les emploient pour s’adresser aux adultes en général (ndt).