La Chock Room - Cédric Detienne

n° 54

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les ateliers du ri3

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Vos contributions sont attendues : 3500 signes, c’est bien.

danielroy@wanadoo.fr ; herve.damase@orange.fr

Modérateur : Jean-Robert Rabanel

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La Chock Room

Cédric Detienne

Marie Bremond (Le feuilleton n°52) fit la connaissance de Michael dans un centre aba. Je voudrais également partager avec vous une rencontre - si l’on peut dire - que j’ai faite avec un enfant autiste de cinq ans, nommons-le Jo.

Afin d’« établir et maintenir des interactions humaines normales », il lui a d’abord été proposé dans le centre aba (l’Institut Neuropsychiatrique ucla, en Californie) un « traitement » comportemental à base de bonbons et de claques. Mais sans succès. L’équipe ne savait plus quoi faire avec Jo, comme avec quelques autres enfants dans le centre.

Un 5 juillet, Jo est emmené dans une pièce de trois mètres sur trois. Sur le sol, il y a des lamelles métalliques sur toute la longueur. Jo n’est pas seul. Un adulte est au fond de la pièce et lui ordonne « Viens ici ! », cinq fois par minute, cela pendant vingt minutes.

Cinq jours plus tard, même pièce, même ordre. À côté de la pièce, derrière un miroir sans tain, un groupe d’« observateurs » évaluent le comportement de Jo. Lorsque l’ordre « Viens ici ! » est donné, un premier observateur appuie sur un bouton (et le signal est enregistré). Si Jo se dirige vers l’adulte dans la pièce suite à cet ordre, un autre observateur appuie sur un second bouton. Un troisième observateur maintient appuyé un autre bouton lorsque Jo a un « comportement pathologique » (« colère ou stéréotypie »). Il relâche le bouton lorsque le comportement cesse. Cette évaluation permet aux « observateurs » d’affirmer que « les comportements pathologiques occupent 65-85% du temps et [que] les contacts physiques sont absents ».

Une semaine plus tard, et durant trois jours consécutifs, Jo est à nouveau emmené dans la fameuse pièce. Cette fois, des électrodes sont posées sur la peau. Ses chaussures et chaussettes sont retirées. Un adulte se place devant lui, un autre, derrière. De manière identique à la semaine précédente, l’adulte face à lui le regarde et lui ordonne « Viens ici ! » À cet instant exactement, Jo est électrocuté (par un « observateur ») jusqu’à ce qu’il se déplace en direction de l’adulte en face de lui. L’autre adulte, derrière lui, le « pousse » vers l’adulte face à lui s’il n’a pas le « comportement adéquat ». La séquence se répète une centaine de fois par jour. De même, dès que Jo tourne sur lui-même, ou utilise « un objet de manière inappropriée », il est électrocuté et un adulte lui lance un « Non ! » La charge électrique est suffisamment puissante pour être plus insupportable que l’insupportable du contact avec l’adulte.

Durant les dix mois suivants, Jo est régulièrement emmené dans cette pièce, mais sans électrodes sur la peau parce qu’à l’ordre « Viens ici ! », il se dirige enfin vers l’adulte, et qu’à l’ordre « Non ! », il arrête son « comportement pathologique ». Jusqu’au jour où Jo refuse à nouveau de se tourner vers l’adulte présent dans la pièce : l’électrocution reprend alors trois jours durant.

Jo avait cinq ans en 1964. Il fut un des premiers enfants autiste à subir les tortures comportementales conçues par I. Lovaas, le fondateur de l’aba appliquée aux enfants autistes. À partir des années 80, Lovaas modifiera la forme de sa « méthode », mais non l’esprit : l'électrocution est remplacée par « le programme d’intervention intensif ».

(Ce qui est entre des guillemets dans ce feuilleton fait référence au contenu de l’article de Lovaas I., Schaeffer B., Simmons J., 1965, « Building Social Behavior in Autistic Children by Use of Electric Shock », in Journal of Experimental Research in Personality, Vol.1)

Un cas urgent : l’autisme - Pourquoi un Forum ?

n° 53

les ateliers du ri3

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Nos collègues espagnols organisent un Forum sur « Un cas urgent : l’autisme ».

Voilà qui n’est pas sans résonner avec nos préoccupations !

Travaux à suivre donc.

Journalistes attendus pour Le feuilleton.

FORUM

Samedi 19 juin 2010
Barcelone

Ce que tait l’Évaluation






Un cas urgent : l’autisme

Pourquoi un Forum ?

Parce que la nécessité est impérieuse d’avertir des risques encourus par une évaluation chiffrée, qui veut réduire au silence le singulier de chaque être humain. Parce que la fausse science qui sous-tend l’idéologie actuelle de l’évaluation, fondée sur un usage nocif des questionnaires pseudo-scientifiques, éradique toute subjectivité dans la culture, l’art, l’université, le champ de la santé comme dans ceux de la justice, de l’éducation et du travail social. Soit dans tous les domaines qui concernent l’humain. L’usage d’une science digne de ce nom n’implique pas de telles retombées.

Si toute discipline humaine comporte une part de quantification, une exigence égalitariste n’entraîne pas une homogénéisation qui éradique la différence propre à chaque sujet, et dont les conséquences sont ravageantes pour lui. C’est ce que promeut aujourd’hui l’évaluation en instaurant une suspicion généralisée sur le savoir des professionnels, et en leur donnant la mission de produire du chiffre et des statistiques à partir du remplissage de questionnaires.

Un tel réductionnisme quantificateur condamne la pensée à l’automatisme mental.

Pourquoi l’autisme ?

En Espagne, la situation de l’autisme est devenue préoccupante. Deux projets : l’un émanant du Parti Populaire et adressé au Sénat d´Espagne, l´autre d’une association de parents adressé au Parlement de Catalogne, inquiètent particulièrement les professionnels qui depuis longtemps se vouent au traitement de l’autisme. Ces projets abordent l’autisme en termes de déficience cognitive, le réduisant à un trouble de l’apprentissage qu’il s’agirait de traiter sur le mode impératif. Sigmund Freud et Jacques Lacan ont mis en lumière la particularité de l’être parlant, qui le différencie de tout autre. Le langage humain n’est pas un code mais une structure symbolique complexe. Les mots s’articulent à la subjectivité de chacun et le lien social est empreint d’une singularité fondamentale. La psychanalyse s’oppose à un traitement de l’autisme conçu sur le modèle d’un dressage des comportements qui méconnaît de façon perverse la fonction du langage.

L’autisme ne saurait être appréhendé en termes de déficit, mais comme une position de l’être par rapport au langage et dans le lien social.

Pourquoi un Forum sur l’autisme ?

Il s’agit d’alerter sur les risques encourus à éradiquer toute dimension subjective, à faire fi du réel qui la fonde et que la science ne saurait mesurer.

Donner la parole aux professionnels éclairés par la psychanalyse atteste d’une pratique vivifiante, fondée sur une approche du réel propre à l’humain et non quantifiable. L’opinion et les politiques doivent être informés : l’autisme est une énigme, et trancher en faveur de traitements pseudo-scientifiques, c’est s’aventurer dans une terrible imprudence. Opter pour un traitement unique met en cause la liberté de choix de chaque citoyen et de leurs enfants.

Il y a une beauté du chiffre quant il se tient à distance des mots. L’évaluation impose le chiffre au détriment des mots, pour ainsi les faire taire. Mais n’oublions pas que les inconnues se désignent par des lettres.

Un Forum… parce qu’il est urgent de maintenir au cœur de l’être parlant l’énigme que l’autiste nous a appris et continue de nous apprendre à percevoir.

Traduction : Mariana Alba de Luna-Chourreu

Comité d’initiative


Carmen Cuñat (Madrid), Lucía D’Angelo (Barcelone), Elisabeth Escayola (Barcelone), Éric Laurent (Paris), Judith Miller (Paris).

Commission d’organisation


Begoña Ansorena, Neus Carbonell, Jose Castillo, Elizabeth Escayola, Pilar Foz, Gradiva Reiter, Iván Ruiz, Jose Ramón Ubieto.

Avec les auspices de


L’Association Mondiale de Psychanalyse, L’École Lacanienne de Psychanalyse du Champ Freudien, L’Institut du Champ Freudien en Espagne, le Champ freudien (Belgique, France, Italie).

Information:

foroautismo@gmail.com

Blog:

http://foroautismo.blogspot.com/

Soutien au Forum

Toutes les personnes et associations qui soutiennent ce Forum sont invitées à se faire connaître (nom, adresse, profession) à : ncarbonelli@uoc.edu

Not Dancing Queen - Marie Bremond – Le Courtil

n° 52

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Not Dancing Queen

Marie Bremond – Le Courtil

Dans la veine du texte de J.-P. Rouillon allant contre l'évaluation dans Le feuilleton n°48, et dans un après-coup prolongé des journées RI3, je souhaitais apporter ma contribution au feuilleton, qui, à mon sens, peut prendre la forme d’un lieu de diffusion et de résistance contre l'évaluation, dans le champ qui nous intéresse plus particulièrement, celui de la psychose infantile en institution. Je n'ai pas écrit une vignette clinique de ma pratique au Courtil, mais ai rapporté une vignette et quelques réflexions que j'en tire, lors d'une visite dans un centre de méthode ABA aux États-Unis.

ABA - analyse appliquée au comportement - est cette méthode redoutablement comportementaliste qui s’applique au travail avec les enfants autistes. Non, elle n’a rien de décadent et de festif comme l’ambiance du groupe pop-rock. J’ai eu l’occasion d’aller découvrir dans le Connecticut un centre où s’applique cette méthode, centre planté dans un no man’s land, en bord d’un grand axe périphérique ou s’alignent Mac Donald’s, pompes à essence Texaco, drive-in et autres centres d’ABA

Skinner Lunch Box

J’étais poliment invitée à observer le repas partagé par le groupe d’enfants et leurs éducateurs. « Partagé » signifiait manger à la même heure, le même menu, dans des box séparés.

Michael mange seul avec une éducatrice dans un box. Sur une planche sont disposés les trois aliments qu’il peut manger : du poulet, des raisins secs, et des haricots. Le régime est sans gluten, car, m’explique-t-on, un régime avec gluten favoriserait les troubles autistiques. Sans être donc trop glutten - qui veut dire « glouton » en anglais - Michael doit se saisir, sur un tableau en velcro, d’une des images qui correspondent à l’un des trois aliments proposés, une derrière image représentant les WC. Michael doit manger. L’intérêt n’est pas tant de satisfaire l’oralité que de bien vouloir arracher du tableau en velcro les images correspondantes avant d’avoir sa becquée et, si possible, sans « incitations physiques » de la part de l’éducatrice.

Michael s’emparant à plusieurs reprises de l’image représentant le poulet, il obtient donc la récompense : du poulet qu’il mange goulûment. Voyant qu’il ne mange que cela, l’éducatrice téméraire lui propose alors l’image « haricots » ; Michael accepte de la prendre et comprend qu’il doit manger des haricots. Elle note alors dans sa grille d’évaluation une croix sur la case « se soumet à la suggestion ». Skinner et son rat de laboratoire rodent dans les parages. Cela me rappelle aussitôt l’idée selon laquelle toute forme de suggestion, en tant qu’elle est une contrainte, est une évaluation pure et simple !

Soucieuse de remplir sa grille, l’éducatrice redouble de bravoure pour lui proposer l’image détachable des raisins secs. Il s’oppose ; l’éducatrice note scrupuleusement : « ne se soumet pas à la suggestion ». Soudain, Michael s’empare de l’image « toilettes » ; elle suppose qu’il veut faire un tour aux toilettes. Une fois arrivés face à la porte des WC, Michael fait un petit tour, mais sur lui-même ! Il n’est à aucun moment question de faire ses besoins ; l’éducatrice est perplexe. Par défaut, Michael a choisi la seule option qui puisse dire : il ne veut pas manger de raisin secs ! L’option « je n’ai plus faim » étant laissée à l’arbitrage de l’éducateur devenu évaluateur. La position qui est celle de Michael de choisir d’aller aux toilettes sans les utiliser, pour esquiver les raisins secs, est une invention par défaut ! à défaut d’une clinique du reste !

La voix externe

L’éducatrice me regarde et conclut, grille en main, après la matinée de travail : « Cela n’a pas été un bilan positif ce matin… à la session ordinateur (il devait répéter le nom des membres de sa famille en voyant s’afficher les photos à l’écran), il a refusé de travailler sur les photos de famille, il se rue sur le poste de musique et veut toujours écouter les mêmes thèmes de chansons, des chansons de Noël ! Je finis par craquer et lui autorise cinq minutes de pause pour écouter ces chants. » Puis rien. On ne saura donc jamais si c’est Nat King Cole ou Frank Sinatra que Michael écoute… ou bien encore s’il chérit les orgues, si évoquer sa famille lui inspire l’écoute des chants de Noël, et que sais-je encore.

Cela aurait été une piste qui aurait pu ouvrir à la voix d’une mise en lien entre corps et énonciation chez le sujet autiste. Je vous renvois à ce sujet au travail formidable qui témoigne de la rencontre d’Olivier Brisson, d’un enfant autiste, et d’une radio, travail d’atelier fait à Aubervilliers, et présenté aux dernières Journées du RI3.

Pour les tenants de la méthode ABA : ouvertures, inventions se referment aussi sec sur une danse macabre !

« Face à cette prise en masse où le Un s’obtient de faire taire toutes différences, de les ravaler à produire le semblable, seul l’éveil à la singularité peut nous extraire de cette fascination », disait Jean-Pierre Rouillon dans Le feuilleton n°48. Le Un s’obtient, en effet, tant pour le sujet autiste ravalé au rang d’objet habillé d’attributs « opposant » ou « soumis » selon la méthode ABA, que pour ses éducateurs-techniciens, silencieux, au devenir acéphale, et pour qui la voix interne du surmoi « se fait de plus en plus externe », comme le rappelait Jacques-Alain Miller sur France 3, dans l’émission du 17 septembre 2009, Ce soir ou jamais.

Le RI3 : ne pas faire du soin une affaire d’état - Anne-Marie Sudry - - Nous sommes en guerre ! Que les adorateurs .... Christine Maugin

les ateliers du ri3

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UN DERNIER FLORILÈGE DES JOURNÉES

Le RI3 : ne pas faire du soin une affaire d’état

Anne-Marie Sudry

« Le langage est la maison de l’être. Dans son abri habite l’homme. Les penseurs et les poètes sont ceux qui veillent sur cet abri. »1

Ceux qui sont dans l’urgence, hébergés dans une institution, comment leur proposer l’abri et l’hébergement de la langue, ceux-là dont les lettres sont en souffrance, en attente d’être déposées et transcrites sur une Autre scène ? Ce pourrait être ainsi que le propose Philippe Lacadée, par le truchement de la poésie.

D’une certaine clinique produite par le discours scientiste ambiant, il n’était pas question durant ces journées du RI3, même si les recommandations de la Haute Autorité en Santé incitent à user du discours du maître et tout tenter pour que ça marche. Aucune place n’a été cédée à cette clinique du regard, non plus celle dont parlait Michel Foucault2, mais celle trop actuelle, au regard implacable incarné dans des techniques d’imagerie cérébrale, des questionnaires sur papier glacé, qui vise l’objectivation des symptômes et l’anéantissement du sujet.

Référé à la psychanalyse d’orientation lacanienne, c’est avec beaucoup de prudence, mais résolument, que chacun a présenté son travail. Travail qui n’affichait à aucun moment des « on sait que », introductifs aux publications scientistes. Sur un ton décidé, se dessinait un réel plaisir à raconter toutes ces rencontres avec un autre qui n’en pouvait plus d’être patient. Nous n’avons à aucun moment entendu de prétention à détenir un savoir, mais plutôt un savoir faire de ces rencontres un pari, le surgissement d’une trouvaille possible, face à des sujets dans des situations impossibles. Pas de recettes, pas de protocoles ; face à l’urgence, les différents intervenants étaient armés de pas-science. Même si, venant des ministères, affluent des recommandations à l’encontre de notre éthique, nous pouvons ne pas faire du soin une affaire d’état.

Pour bienveillante qu’elle était, l’écoute attentive des animateurs d’atelier n’était pas complaisante. L’affaire n’était pas entendue, et la lecture des différents travaux pouvait prêter à critique, à commentaires. Dans notre atelier, invitation fut faite de ne pas céder à la tentation d’avoir un certain usage de la langue, à savoir par exemple que La Mère Ravageante n’existe pas, pas plus qu’une novlangue psychanalytique qui récupèrerait des mots pour les vider de leur sens, établissant ainsi des concepts valables pour tous.

Grâce aux différents exposés, la conviction de chacun a trouvé là de quoi se nourrir et avancer.

1- Heidegger M., La lettre sur l’humanisme, questions III et IV, Gallimard, 1976, p.67.

2- Foucault M., Naissance de la clinique, Puf.

Nous sommes en guerre !

Que les adorateurs des protocoles tremblent…

La psychanalyse ne s’éteindra pas !

Christine Maugin

Nous fûmes 750 à nous retrouver dans l’amphithéâtre de la Faculté de médecine pour ces deux jours sur le thème « Cas d’Urgence ». Nous ne savions pas, lorsque nous sommes arrivés, accueillis notamment par Daniel Roy, Maryse Roy et Philippe Lacadée, combien ces journées allaient nous transformer…

Le ton fut donné d’emblée par Judith Miller : « de la puissance nous en avons besoin, nous sommes en guerre, nous avons à défendre la psychanalyse qui est agressée par les évaluateurs qui prétendent savoir ce qu’est une bonne pratique, qui prônent des méthodes de dressage des conduites et les appliquent à tous afin que disparaissent toutes manifestations de la souffrance de certains êtres qui sont voués à être immergés dans le langage. Ils veulent leur supprimer ce qui est leur caractère d’être humain ».

Ces journées se sont ainsi tout de suite inscrites dans ce contexte politique, comme une contre offensive, une rébellion organisée contre ceux qui ont l’idéal de maîtrise, qui suivent des protocoles et des recettes en oubliant le propre de chacun, sa part de subjectivité, bref, en traitant l’être parlant, le sujet, comme leur rat de laboratoire, faisant ainsi disparaître le hiatus, la marge, entre le stimulus et la réponse, propre à l’être humain. La psychanalyse dit NON à ces pratiques et chacun de nous a à s’en démarquer, à les combattre, à ne pas céder sur notre désir que vive la psychanalyse !

Comme Jean-Robert Rabanel l’a redit, chaque don se fait sur fond de perte, que le sujet peut subjectiver grâce à l’acte de l’analyste qui isole la jouissance en jeu. Là encore, différence majeure avec les cognitivistes et autres adorateurs des expériences de laboratoire, chacune des réponses valent de par leur effet et leur part créative !

En reprenant Daniel Roy, on peut dire que le temps logique du dire n’est pas chronologique, il est feuilleté, parsemé d’accidents de parcours du langage, que sont les mots d’esprits, les lapsus… Ceux-ci sont la base même de travail de la psychanalyse ; c’est dans le ratage, dans cette marge même que le sujet se dessine, se décide. La structure humaine du temps actualise la perte ou le gain dans l’urgence du dire, quelque chose du plus familier surgit et nous ne savons jamais à l’avance ce que cela sera, ce que l’on en fera, ce qu’elle nous apprendra. La psychanalyse offre à chacun sa chance inventive, l’accueille, se laisse surprendre par l’impromptu du surgissement du sujet.

Marie-Hélène Brousse a ainsi soulevé un point important quant à l’urgence, qui, en tant que S1, ouvre à des S2, file d’attente, prévision, horaires, emploi du temps… L’urgence s’inscrit socialement dans cette paire ordonnée de signifiants, alors que, de manière subjective, l’urgence marque une rupture du désir. Elle fait surgir l’objet comme substance hors métaphore de l’inconscient. L’urgence est un réveil qui fait événement, où il y absence de temps. Le traitement de l’urgence par la psychanalyse n’est pas le traitement du passage à l’acte, mais c’est le traitement d’un temps qui peut permettre à chacun un réveil. Jacques Borie propose de contrer le risque de la précipitation (que pourrait supposer un traitement médical de l’urgence, comme l’a souligné Jean-Pierre Deffieux) du côté d’un rapport à la contingence et non pas de maîtrise.

Ainsi, nous pouvons proposer, avec Philippe Lacadée, que l’insulte, comme urgence première, nécessite des inventions pour prendre soin du danger qu’elle fait courir au dialogue, puisqu’elle attaque la racine même de la langue, croyant dire la vérité de l’autre. La psychanalyse offre alors une nouvelle lecture de l’injure ; comme départ de la grande poésie, l’insulte est alors grandiose, en ce qu’elle ouvre une part créative. La psychanalyse ouvre à une réponse de la crise d’urgence, pas-sans poésie !

Lors de ces journées, nous ont été présentées des situations bloquées, des solutions inventées, et nous en en avons été surpris ! Nous n’en sommes pas sortis indemnes, et tant mieux ! Elles ont ravivé notre désir, nous ont enthousiasmés. Elles nous laissent dans la joie de travailler à plusieurs, d’échanger sur nos pratiques. Cet enthousiasme suscité par ces journées nous encourage dans l’accueil singulier que nous pouvons offrir à chacun des sujets en impasse qui se présente à nous.

« Comment on fait flamber le désir » - Laure Naveau

n° 50

les ateliers du ri3

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Modérateur : Jean-Robert Rabanel

« Comment on fait flamber le désir »*

Laure Naveau

Nous remercions Laure Naveau de nous autoriser à publier la fin de son intervention du samedi 23 janvier, aux Journées du RI3, où elle nous mettait sur les traces d’un désir inédit, et brûlant, celui de faire « flamber le désir », désir qui n’est pas anonyme…

* L’expression « Comment on fait flamber le désir » est de Jacques-Alain Miller, Carnet du 5 octobre 2009.

[…] Si Lacan assigne l’analyste à répondre à l’urgence de « donner cette satisfaction qui préside à la demande d’analyse », pour que les analyses se terminent, la question se pose donc de savoir comment quelqu’un peut se vouer à satisfaire ces cas d’urgence (urgence n’est pas sens !). En différenciant cette vocation de celle de l’amour du prochain, toujours suspecte dans cette perspective, Lacan précise que l’offre de l’analyste est antérieure à la requête d’une urgence ; ce qui résonne avec la formule lancée dans La direction de la cure qu’ « avec de l’offre, je crée la demande ». Cette urgence, l’on n’est pas sûr de la satisfaire, poursuit-il, « sauf à l’avoir pesée ». Et comment peser la requête de cette urgence à donner la satisfaction demandée, si ce n’est en l’ayant, soi-même, éprouvée grâce à une analyse poussée à sa fin ? Je me souviens avoir évoqué, à Bordeaux encore, non seulement ce sentiment d’urgence qui avait accompagné ma demande d’analyse, mais aussi la hâte qui m’habitait dans le moment de conclure, plus de quinze ans après. Une hâte qui répondait à un franchissement clinique et politique de l’angoisse et qui m’a précipitée vers la sortie et vers la passe.

La passe est une demande. Elle repose donc sur le sentiment d’avoir atteint la satisfaction de pouvoir tenir le désir de soutenir les cas d’urgence tels qu’on en avait soi-même été un pour l’autre. Et il peut arriver que la rencontre, tuché toujours imprévisible, avec l’opacité de sa propre jouissance, implique de retourner voir son analyste pour élucider, encore, l’obscur. Il y a là à accepter un « ne pas cesser de passer la passe ». Être sur la brèche, apporter sa pierre à l’édifice, cela donne de la joie, autre nom de la satisfaction.

Si l’insolubilia majeure de la psychanalyse, c’est l’inexistence du rapport sexuel, l’urgence reste celle de toujours désirer prendre position par rapport à cette inexistence, d’en déduire ses déterminations intimes, de la prendre à sa charge, pour trouver en soi quelque chose de nouveau qui contribue à faire avancer la psychanalyse. L’Autre n’existe pas, mais la jouissance existe, et la psychanalyse n’existera plus, ni aucun psychanalyste, si nous ne la faisons pas, sans cesse, exister par nos actes, ici, maintenant.

Dans son Carnet du 4 novembre 2009, Jacques-Alain Miller livre cette pierre précieuse, en posant la question de « comment on fait flamber le désir ». C’était juste avant la tenue des dernières Journées, à l’acmé de cette cavalcade joyeuse sur le « devenir analyste au XXIe siècle ». J.-A. Miller résout cette question du désir qui flamboie en donnant sa formule, à lui, de ce qu’il appelle « un cocktail instable », fait de son goût pour la hâte et l’improvisation. Formule qui peut nous servir. Je l’écris : hâte + surmoi+ éthique des conséquences.

La hâte, précise-t-il, y est équivalente à l’objet petit a ; son surmoi féroce, à une exigence de bien dire et de bien faire ; et l’éthique des conséquences, à la volonté d’assumer ses décisions, à « ne jamais refiler le bébé à quelqu’un d’autre ». À quoi il ajoute l’ironie propre au Witz… Effet détonnant garanti, dit J.-A. Miller, en l’opposant à ce qui lambine, s’embrouille, s’englue, signes pour lui de ce qu’on n’y est pas. […]

En revenant du RI3 - Stéphane Vallade

n° 49

les ateliers du ri3

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les echos du forum sont les bienvenus

En revenant du RI3

Stéphane Vallade

J’attendais ce colloque du RI3 avec impatience, deux ans après Clermont-Ferrand et la découverte pour moi de ces journées qui traitaient du « dialogue avec l’autiste ». Si le thème annoncé cette année, « cas d'urgence », me parlait a priori moins, les premiers épisodes du Feuilleton préparatoire m’ont très vite rassuré, emballé. La lecture de ces vignettes cliniques reçues chaque jour tissaient peu à peu le fil d’une histoire passionnante dans laquelle je me retrouvais souvent ; je les retrouvais, « ces sujets » dont on s’occupe ! L’énoncé des cas lors des deux journées n’a fait que confirmer l’intérêt du partage de cette pratique à plusieurs par l’éclairage de la psychanalyse. Je me suis senti confirmé dans ma pratique d’éducateur-spécialisé en ime, me disant : « Tiens, moi aussi j’ai fait ça l’autre jour... » ; ou encore : « On devrait essayer cela avec untel. »

Sans en attendre de recettes applicables telles quelles avec les jeunes accueillis, la trouvaille énoncée dans la vignette suffisait à déclencher l’envie, le désir de repartir de l’avant face à l’isolement de ces sujets psychotiques et autistes, par un pas de coté innovant. Là où l’essoufflement gagnait avec Maxime, par exemple, une histoire de banquet, repas de Noël raconté par une éducatrice, m’apportait une bouffée d’oxygène salvatrice en m’inspirant une nouvelle façon de faire, d’être avec lui, avec l’idée de « mettre en place une bascule, un échange entre jouissance et plaisir ». « Le principe du plaisir, c’est le frein de la jouissance » disait Lacan.

La richesse des journées du RI3 est là, dans cette pratique à plusieurs échangée, mise en scène, qui dépasse les murs d’une institution, qui se propage dans les discours et les esprits des professionnels présents, concernés au quotidien par ces enfants là.

Deux jours intenses, où parfois le niveau de discussion des intervenants dépassait celui de mes connaissances théoriques, mais qu’importe, on parlait bien tous ici du même objet, tous des mêmes sujets !

La seconde journée proposait différents ateliers où nous assistions séparément, multipliant les possibilités d’écoute, à la pêche aux idées nouvelles, aux confirmations anciennes, aux questionnements à venir.

Cette énergie nouvelle, elle est là depuis le retour, dans la rencontre au quotidien avec les jeunes accueillis et dans celle des collègues partenaires, ceux qui ont partagé le colloque, mais aussi et surtout ceux qui ne sont pas venus. Fort de ce désir renouvelé, je les invite, à l'occasion, à lire le recueil des écrits du Feuilleton, j’illustre mes propos de formules retenues au RI3, je partage des idées nouvelles pour certains jeunes, le RI3 est en moi...

Daniel Roy, lors de la première journée, a dit que le Feuilleton préparatoire avait permis l’émergence d’un sujet du collectif animé d’un désir de dire. Les écrits post colloque, dont celui-ci, montrent, je crois, combien le « sujet » peut être vivant dans les institutions.

Stéphane Vallade est éducateur spécialisé à l’ime du Cenro, à Vertou (44).

De la fascination à la joie - Jean-Pierre Rouillon

n° 48

« ÉVALUER TUE »

Forum du 7 février

De la fascination à la joie

Jean-Pierre Rouillon

L’évaluation est en train d’envahir, à marche forcée, tout le champ du médico-social. Chacun se trouve pris dans la tenaille entre évaluation interne et évaluation externe. « Il vaut mieux le faire avant qu’on le fasse pour nous, au moins cela viendra de nous. » « De toutes façons, vous n’y couperez pas, c’est cela ou la disparition, la mort. » Voici quelques unes des paroles qui reviennent le plus souvent dans la bouche de ceux qui font subir ou de ceux qui subissent l’évaluation. C’est cela qui domine, au-delà des discours enthousiastes vantant les mérites des cercles vertueux et faisant valoir la notion de performance : la peur, la haine, le renoncement, la lâcheté, le désenchantement, la tristesse.

Tout le monde sait, sans oser se l’avouer, sans oser le dire, que l’évaluation n’est que l’autre face de la grpp, soit la révision générale des politiques publiques, qui vise au démantèlement du service public, et à la diminution des postes. Il ne s’agit que de mettre au point ce qui va servir de preuve scientifique à la nécessité de réduire le personnel, de le déqualifier et de faire disparaître les institutions. Désormais, c’est la société entière qui sera une institution, sous la bonne garde des radars, des caméras, des portables, grâce à l’utilisation généralisée de l’évaluation.

On peut penser que cette attaque ne nous touchera pas, qu’elle nous épargnera, nous qui nous appuyons sur un désir décidé. Avouons-le, l’application généralisée de l’évaluation nous dérobe déjà un temps précieux, elle est cannibale, elle veut tout dévorer. Mais surtout, elle nous enfonce imperceptiblement dans le doute, le sommeil, la torpeur. Lacan nous indique dans le Séminaire xi qu’il est difficile de résister à la pente à se faire l’objet du sacrifice à un Dieu obscur. Nous pouvons maintenant nommer ce « Dieu obscur », il a pour nom « qualité », « évaluation ».

Comment briser l’action de ce signifiant tout seul, de ce Dieu obscur, qui avance masqué derrière les flots de discours et de savoir dont nous inondent les spécialistes en évaluation, management, coaching, plan social, licenciement ? Comment faire entendre une voix qui puisse mettre un frein à cette rave party infinie du bonheur programmé et protocolisé.

Je n’ai pas la réponse, car celle-ci concerne chacun, d’être singulière et d’opérer une séparation d’avec la foule, ne serait-ce que celle des bonnes intentions. Face à cette prise en masse où le Un s’obtient de faire taire toutes différences, de les ravaler à produire le semblable, seul l’éveil à la singularité peut nous extraire de cette fascination.

Il reste une difficulté : comment témoigner de cette expérience, comment aussi la faire passer de la dimension de la solitude à celle du plusieurs et du collectif ? Comment permettre que ce parcours de l’Un à la solitude puisse se réaliser ?

J’ai découvert un bout de réponse ce week-end à Bordeaux lors des journées du RI3 : la joie. C’est ce qui se déduit de la lecture des textes du Feuilleton après les journées. Les participants partent avec une joie dont ils peuvent faire part, une joie qu’ils peuvent transmettre, une joie qui, un temps, arrive à défaire les maléfices de l’évaluation. Cette joie, c’est celle qui nous accompagne, comme un gain de surcroît, à faire le pari de l’invention de ceux que nous accueillons. Cette joie de travailler à plusieurs dans une référence à la psychanalyse, ce n’est peut-être pas ce qui peut contrer directement la force et la puissance de l’évaluation, et des tcc, mais c’est à partir d’elle, en la faisant partager, que nos troupes ne cesseront de se former et de croître. C’est un des enseignements de ces dernières journées et il est urgent de le faire entendre en nous joignant aux bataillons en lutte contre l’évaluation, lors du forum du 7 février.

Tagada, iPod, doudou et roudoudou - Françoise Labridy

n° 47

« ÉVALUER TUE »

Forum du 7 février

Tagada, iPod, doudou et roudoudou

Françoise Labridy

Anticiper la suite du mouvement, dans l’élan de celui insufflé par Jacques-Alain Miller aux Journées de novembre 2010, le multiplier, en démultiplier la puissance dans les différentes institutions du champ freudien, mais aussi en chacune et chacun d’entre nous qui quotidiennement nous coltinons avec les impasses du vivant et les impérities d’un monde pris dans une recherche effrénée de toute puissance.

Qu’est-ce qui meut, qu’est ce qui émeut un corps, qu’est-ce qui le met en mouvement et pourquoi ? Comment faire place, et non pièce, à cette énigme « d’avoir un corps », sans savoir quoi en faire ? Comment tenir cela ouvert, afin qu’un sujet puisse s’emparer de la question de ce qu’il fera des jouissances qui le traversent pour s’en faire une vie ? Les enfants et les adolescents modernes crient, agitent, par la distorsion de leurs symptômes, les adultes qui les entourent, qui parfois n’ont d’autres ressources que de répondre par les diktats de bienséances se prétendant scientifiques, qui envahissent le discours courant, alors qu’ils ne sont qu’une somme de bêtes préjugés. C’est ainsi que la prescription de la Ritaline® peut devenir aussi évidente que celle de la fraise Tagada ou du roudoudou... et ne plus poser de questions. Qu’il puisse y avoir d’autres façons d’envisager ce qui se passe dans les corps, entre les corps et dans les objets qui médient leurs échanges, que d’y satisfaire, parfois ne peut même plus se poser, pour pouvoir se penser. Comment courir plus vite que ce qui parvient même à faire inertie en chacun d’entre nous ? Comment rompre avec nos propres préjugés, pour déchiffrer, en chacun des lieux où nous pratiquons, le signe de quelque chose qui ne peut pas passer, au risque d’en mourir s’il ne trouve un accueil à ce qui insiste à vouloir vivre et ne sait ni comment se dire, ni se faire. Endormir les enfants, les adolescents, ne réduira pas leurs hurlements, nous endormir nous laisserait croire que cela passera. La guerre oui (merci Judith Miller), les armes oui (merci Catherine Lacaze-Paule), mais aussi le rire (merci Marie Laurent, Stéphane Morin), la démunition, la fragilité, l’allégement (merci Viviane Durand) d’accepter l’incertitude de l’a-venir et de ne pas s’en apeurer.

Difficile de laisser venir à l'être, sans prédiquer sur l’être. Il ne s’agit pas de réduire le mal à la racine, comme certains le croient possible, (loup, loup ! où es-tu ? que fais-tu ?) parce que le mal n’est pas là où il est désigné. Que chacun puisse entendre un tout petit peu, un peu, beaucoup... de l’opacité de la jouissance toujours singulière qu’implique son appartenance au règne des vivants-parlants, n’est ce pas ce que vise « l’éducation freudienne » ?

Déchiffrer, traduire, « lire ce qui n’a pas été écrit avec des mots, dans la parole » (merci Lucie Wolf) laisse des traces sur le corps, d’où se fomente la répétition des passages à l’acte. C’est à plus d’un, en s’appuyant les uns sur les autres, en nous enseignant de nos singularités d’arrimage de nos jouissances, tout en les articulant à celles des autres, que s’ouvre un chemin, plus vivable.

Pour parer à ce qui apeure et angoisse, je vous invite à venir potentialiser la joie que chacun trouve dans l’invention de ses pratiques. Poursuivons le mouvement et l’élan entamés aux Journées de novembre. Après l’AMP, la route vers Rennes passe curieusement par Nancy (qui l’eut cru ?) au Colloque du CIEN, à Nancy, le 5 juin 2010. Venez jouer de vos

Vive la contre-évaluation ! - Yves Arnoux

n° 46

« ÉVALUER TUE »

Forum du 7 février

Vive la contre-évaluation !

Yves Arnoux

Les journées du RI3 à Bordeaux ne sont-elles pas deux journées de contre-évaluation ? Cette méthode contre-évaluative, nous avons à la faire valoir. En effet, j’ai entendu pendant ces deux jours des développements qui articulent des concepts en s’appuyant sur des cas cliniques, sur sa propre expérience ou sur sa pratique.

Jacques-Alain Miller, dans son premier cours de janvier, indique en fait que ce qui s’articule sur le plan conceptuel n’est pas séparé pour autant de la jouissance de l’énonciateur. En rapportant l’anecdote plaisante d’un Lacan ne supportant pas les feux rouges et qui descend de voiture, traverse à pied la rue pour remonter de l’autre côté en voiture « c’est rendre Lacan vivant » et « c’est un mode de jouissance »1.

Marie Bonaparte envoie un chauffeur pour amener ses patients à leur séance d’analyse, qu’elle pratique dans son jardin, allongée sur une chaise longue, derrière le divan, en faisant du crochet2. On est loin de l’orthodoxie des manuels de bonne pratique… Freud n’était pas moins singulier quand il s’entretenait avec elle pendant des heures, allant jusqu’à l’épuisement3.

Ces anecdotes montrent l’aspect singulier de notre pratique qui ne s’oppose pas aux principes qui président à la psychanalyse. Dans les institutions sociales et médico-sociales, parfois dans d’autres secteurs, les rencontres hebdomadaires bien orientées sont des moments forts et féconds d’une contre-évaluation à plusieurs. Avec nos pratiques, nous contre-évaluons à chaque instant ce qui fait à la fois notre singularité et notre force en échappant à la routine qu’introduisent les évaluations de masse de la bonne pratique avec ses vade-mecum indigestes.

La pratique de l’évaluation, et dans le médico-social et dans mon expérience, consiste à produire un objet qui non seulement coûte cher et gaspille du temps mais dont le résultat n’est pas à la hauteur de l’investissement. Elle part d’une méthode quantitative dont la qualité est fondée sur l’éradication de toute erreur, de toute contradiction, en un mot de ce qu’est la condition humaine. La contre-évaluation clinique au cas par cas est en définitive bien plus rentable ! Elle met au travail chacun sur sa relation à l’autre. Dimension de traitement « qui ne consiste pas seulement […] dans l’application […] de techniques » mais « avant tout sur la façon dont nous nous positionnons dans l’application de ces techniques »4.

C’est la rencontre chaque fois singulière qui régit pour nous cette contre-évaluation qui se règle sur le désir et non sur les recommandations et le chiffrage, qui inscrivent ce désir et sa singularité aux abonnés absents.

Alors, vive la contre-évaluation que permet la psychanalyse !

Yves Arnoux est ancien directeur d’établissement médico-social. On lira son témoignage dans Le feuilleton n°26.

1. J.-A. Miller, Cours du 27 janvier 2010.

2. Célia Bertin, « La dernière Bonaparte », Perrin, 1982, p. 287.

3. Ibid, p. 284.

4. Alfredo Zenoni, « L’autre pratique clinique », Erès, 2009, p.246.

EVALUER TUE

Forum du 7 février

De 10h à 19h

Sous la présidence de BHL

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Grand Meeting à la Mutualité

24, rue Saint Victor Paris 5e

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Inscrivez-vous dès maintenant

Adresser un chèque de 20 €* à

Forums des Psys

15, place Charles Gruet

33000 Bordeaux

Les autres inscriptions se prendront sur place à partir de 9h.

Une librairie présentera les meilleurs ouvrages sur le thème.

*10 € pour les étudiants de moins de 26 ans

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