« L’urgence, c’est quand ça chauffe pour le sujet » - Hervé Damase – CTR Nonette

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« L’urgence, c’est quand ça chauffe pour le sujet »

Hervé Damase – CTR Nonette


Après avoir mis à l’étude la question du « dialogue avec l’autiste », les prochaines Journées du RI3 nous convient donc à porter notre attention sur le « Cas d’urgence ». Ces deux questions semblent a priori antinomiques. En effet, si le dialogue avec l’autiste est précaire, improbable, réclamant une attention aux infimes détails et un repérage minutieux, nécessitant un traitement sur la durée, le cas d’urgence, lui, semble s’imposer comme une évidence. Tonitruant dans ses manifestations, il réclamerait, voire imposerait une intervention rapide et efficace.

Nous aurions donc là affaire à deux registres cliniques opposés, l’autiste se retrouvant ainsi relégué au second plan. Mais plutôt que de promouvoir cette opposition, je m’attacherai à montrer ici qu’il y a là une logique à l’œuvre et que l’antinomie n’est qu’apparente.

Si a priori le dialogue avec l’autiste paraissait improbable, les dernières journées ont démontré qu’il était réellement effectif, multiple, varié, nécessitant un examen au cas par cas. Pour rendre compte de ce paradoxe, il a été nécessaire de reconsidérer ce que l’on entendait par dialogue, car le dialogue dont il s’agit ne relève pas du registre de la communication, ni de la signification, encore moins du sens commun. Il s’agit d’un dialogue qui s’appuie sur la considération de la jouissance en jeu pour le sujet, mais également de la jouissance en jeu pour le praticien. Cette jouissance a à voir avec la dimension du signifiant, plus précisément, elle est en lien avec le rapport que chaque sujet entretient avec le signifiant. Car le signifiant est jouissance, comme nous l’enseigne Lacan, et comme Jacques-Alain Miller s’emploie à nous le démontrer. Si on prend en compte cette dimension hors sens, qu’en est-il de la relation, du lien qui peut s’établir avec un sujet autiste ?

L’urgence est un signifiant de la modernité, du présent. Elle formule un certain idéal dans le monde contemporain. Elle est une valeur ajoutée. Les situations seraient ainsi dignes d’intérêt seulement si elles peuvent être rangées sous ce signifiant de l’urgence. Le dictionnaire nous indique que l’urgence est ce qui nécessite d’agir vite. Un cas urgent doit être soigné sans délai, dans l’immédiateté. On ne peut différer. Notre monde capitaliste a fait de la vitesse une valeur suprême, car, comme l’a bien montré Marx, c’est dans la circulation de l’argent que réside la production de la plus-value. A cet égard, une crise financière n’est rien d’autre qu’un arrêt de la circulation de l’argent. Aussi, il faut aller toujours plus vite… pour gagner plus. L’idée de rentabilité est directement liée à celle de l’urgence.

Au niveau du sujet, on peut retrouver cette distinction : il y aurait une part de lui-même qui ne peut attendre, soumise à l’urgence, car susceptible de produire des effets ravageants. Nous voilà ainsi introduit à une clinique de ce qui ne peut attendre.

Après le dialogue avec l’autiste, titre qui n’a pas perdu son caractère profondément subversif et ironique, nous allons aborder la prise en charge et le traitement de l’urgence. Mais de quelle urgence s’agit-il ? Pour ma part, j’envisage cette question de l’urgence à partir du rapport du sujet à la jouissance. L’urgence, c’est quand ça chauffe pour le sujet, qu’il est en prise avec quelque chose qui le déborde, qui l’assaille et dont il ne sait que faire. Dans ces moment-là, où il se retrouve face à sa solitude fondamentale, il apparaît crucial qu’un partenaire puisse se constituer pour lui afin qu’un traitement de la jouissance ait chance d’avoir lieu.

Qu’est-ce qui s’offre au sujet comme modalités (au pluriel) de traitement de la jouissance ?